Hors des brumes posées sur les verts pâturages Apparaît une armée de soldats en campagne. Ils sont charmes têtards, serviteurs du bocage, Serrés l'un à l'autre, dans le pays de Fagne.
Enserrer la terre, la maintenir bien fort, Au fil des jours, des ans, c'est leur premier ouvrage. Sous les bises d’automne, c’est faire grand effort Que de tant résister pour abriter l’herbage.
Les charmes sont un bloc, aux vents font barrière, Résistent à leur furie : la ramure fait grand bruit. Gardé de tous côtés, devant et derrière, Le troupeau est en paix tout le jour et la nuit.
Ces arbres paysans sont un peuple en bataille Qui garde son trésor sans jamais rechigner, Faits de larges ombrelles et grise futaille, Troncs noueux d'émonde, défenseurs alignés.
Les vieux charmes branchus à l’écorce lissée Filtrent les brouillards dans leur sombre feuillage, En rassasient sans fin leur belle foliacée Et sont pour l’oiseau le meilleur camouflage.
Dans la file, un sujet que la vie abandonne ; Son tronc qui sonne creux et que le temps allège Ne geindra plus des coups que la hache donne. Son office est fini, il quitte le cortège.
Sous son fût, ses griffes ne lâchent pas la prise ; C’est son être qui vit encore dans sa souche. Son tombeau est la terre qu’il avait conquise. Il gît comme il vivait, dans la même couche.
Les toiles de l’araignée, baignées de lumière S'allument de cent mille feux aux rayons du matin. La cruelle argiope de son œuvre est fière Et guette en son antre le tout prochain butin.
La vie de la campagne est toujours un partage Sa grande richesse est celle de son réseau ; Quand à la fin du Temps survient le grand âge, Qu’il est doux de mourir sous le chant de l'oiseau !