Enumération paradisiaque
Le bonheur, c’est peu de chose :
Une épine de rose,
Un poète morose,
Une bombe qui explose,
Quelqu’un qu’on indispose,
Quelqu’un dont on dispose,
Et moi qui me repose.
Le bonheur n’est pas loin :
Un malade qui geint,
Une flamme qui s’éteint,
Un orage qui survient,
La Vénus sans les mains,
Une taupe dans un jardin,
Et moi qui ne fais rien.
Le bonheur est partout :
C’est un dictateur fou,
Une gorge qui se noue,
Un condamné qu’on roue,
Un juge qui avoue,
Un géant à genoux,
Et moi qui savoure tout.
Le bonheur n’est pas leurre :
C’est un enfant qui pleure,
Un père qui se meurt,
Une gifle à ma sœur,
Une fillette qui a peur,
C’est la cuisine sans beurre,
Et moi qui suis menteur.
Le bonheur ça me tente :
C’est un cul-de-jatte qui rampe,
Un cadavre qui fermente,
Une phtisie galopante,
Une file d’attente,
Une nonne bandante,
Et moi qui m’en contente.
Le bonheur, ça détend :
C’est la chute d’un enfant,
Une mémé sans les dents,
Un bâton sans hareng,
Une femme qui se vend,
C’est mourir à vingt ans,
Et moi qui compte le temps.
