Le fleuve de la vie
"La vie est un long fleuve tranquille" dit-on dans mes contrées. Mais ma vie en a été autrement. Ma vie a été plutôt un fleuve aux vagues enragées, aux eaux tumultueuses, meurtries par les guerres, les pierres lancées et les bouteilles des matelots mécontents. Sur leur bateau, ils ont déversé leur vin, leur alcool dément sur mon fleuve qui est alors devenu torrent.
La tête sous les courants parisiens, je me remets dans des voiliers douloureux. L'idylle était devenu un paradis difficile. L'eau cogitait des piranhas, des requins et des crocodiles. L'épreuve de la piscine bleue, je m'en rappelle. Le petit bassin était tel un océan. Les autres enfants nageaient formidablement. Et moi j'embrassais la brasse comme on embrasse une veuve dispersée. La tâche était ardue. Néanmoins, je me battais contre l'eau, de toutes mes forces. Même si je sais que l'eau et la tasse peuvent être fatales pour un enfant de six ans.
Perdu sur une île aux cocotiers hululant des noix qui me noient dans l'océan de l'enfer, je renaît peu à peu. Revoyant la lumière de l'astre, je ressens la vie redevenir une rivière, puis un fleuve plutôt doux. Je nage dans la marre de la Marne. Rainettes vertes nagent paisiblement dans l'eau vivifiante. Faisant pousser des têtards, ils vivent pleinement au soleil enivrant de l'été.
Les courants ne sont plus ce qu'ils étaient. Assagis, ils ont absorbé ma douleur. Le tout dans le silence des cris des vagues. Démuni d'un poids, je me jette dans l'eau et ses méandres inouïs. Je m'en réjouis. Un peu sinueux, ce fleuve. Mais toujours, je reste droit, adroit avec une certaine posture de grand nageur. L'eau, je la bois. Je m'abreuve. Un long fleuve devenu tranquille.
Un peu mouillé, je sèche dans le désert avec l'humidité du soir. Sable chaud réchauffe mon cœur. L'humeur est à la détente, presque à la dilettante. La fantaisie, l'imaginaire prend le dessus sur les rêves noires du sommeil des eaux profondes. Ô sommeil, laisse-moi dormir dans tes eaux soporifiques ! Laisse-moi me noyer dans tes eaux honorifiques ! Plus d'erreurs, plus d'horreurs, plus de pluie, plus suie. Que de l'eau fraîche sur ma peau en attente.
La brume m'humidifie. Je vaporise la vapeur. Je suis en sueur. Ça coule des flaques d'eau. Des gouttes tombent sur le sol sensible. Je m'éternise dans des eaux d'amour. Ça respire la splendeur. Quelle est belle cette eau ! Je la bois, encore et encore. Je fais un coma hydraulique dans ses bras de velours. Et j'aime mettre de l'eau dans mon vin. Quelle est bonne cette boisson. Avec ses bulles que j'inspire de la bouteille.
A présent, buvez, buvons. Ô Champagne, je t'aime. Oui, je bois à notre victoire sur les eaux polluées que peut engendrer la misère du fleuve mal aimé. Une nuit dans ses eaux et vous souffrez de parasites. Heureusement, mes océans sont devenus pacifiques, magnifiques, et quelque peu érotique. Amoureux d'une sirène, j'abandonne Poséidon et prend les rennes de mon fleuve. Je m'envole à présent comme un goéland sur les mers. Prêt à pêcher n'importe quel poisson.