Nous autres, gens des villes, Nous qui, de la mémoire, Avons perdu le fil, Egaré le tranquille Et ce qu'il en appelle, Sombrons sur le bonheur D’éperdu désespoir. Magnifique carène! Comme taureau dans l’arène S’élançant sur un leurre. Tandis qu’en étincelles La terrible machine Des picadors en vrille Lui mate sur l’échine Rubans et banderilles.
Il bondit, il se cabre, Le garrot palpitant. Par son front impudent, Et de ses yeux livides, Il vomit des naseaux Cette meute macabre, Puis s'élance à nouveau Pour écraser le vide! Sur la noirceur des pentes Coulent alors des torrents Comme lave rougeoyante. La barque sombre, luisante De sa vaste carcasse, Harponnée tant hélas! Des trente et mille dards Tangue, vacille, se casse. Et fourche formidable De son éperon, en vain Lance un ultime estoc... L'insaisissable essaim... Imbéciles assassins, La bêtise les accable! L'étrave comme un soc Heurte au fond de poussière: Chaloupe contre pierre... Echouée sur la grève, Epave qu'on achève...
Et lorsque vient la mort, Que sa langue vermeille, Violette, assoiffée, Eblouie de soleil, Pour une fois encor Balaie le sable fade, Un matador tout blanc S'avance à l'estocade Et puis sur le côté, De son fleuret Pilate, Lui laboure dans le flanc Un autre oeil, écarlate.