Ils sont venus un jour, les hommes de la ville, Dans la grande forêt où je vivais heureux, Dans ma belle forêt où tout était tranquille ; Et ils ont abattu mon tronc si vigoureux.
Ils m’ont déshabillé de mes plus belles branches Et m’ont traîné longtemps, longtemps sur un chemin. Ils parlaient de flottage et ils parlaient de planches, D'argent qu’on devait leur donner le lendemain.
Nous sommes arrivés sur le bord du grand fleuve, Et sans ménagement, ils m’ont jeté à l’eau. Rien pour les arrêter, rien qui ne les émeuve, Moi je n’étais pour eux qu’un quelconque ballot.
Oh, j’ai beaucoup pensé dans cette eau triste et noire A tous mes compagnons dont on m’a séparé. En descendant le fleuve, ont surgi mon histoire, Ma jeunesse et ma vie dans ma belle forêt.
Et que vont devenir ceux qui dans mes ramures S’abritaient en hiver, y construisaient leurs nids ? Adieu, je n’entendrai plus jamais vos murmures… En voulant me tuer, c’est vous qu’ils ont punis.
Que feront-ils de moi, table, porte ou armoire ? Poutre qui portera le toit d’une maison ? Niche pour chien méchant ou chapiteau de foire ? Un vulgaire billot destiné au tison ?
Et pendant que la scie fait s’éteindre ma flamme, Je rêve qu’un luthier passant par-là, l’été, Trouve un morceau de moi, le transforme en une âme Et que son violon joue pour l’éternité.