L’enfant et le vieillard
Voyez donc ce bébé, tête blonde charmante,
Regardez-le courir, sauter, rire et crier,
Un rayon, une fleur, une étoile l’enchante,
Rien dans son innocence ne peut l’effrayer.
Point d’alarme ou de peur dans ces yeux si limpides,
Qui regardent la vie de toute leur fraîcheur ;
Il ne sait rien encor, sa jeune tête est vide
Mais son cœur déborde d’enthousiasme et d’ardeur.
Et voyez donc aussi cette tête chenue
D’un vieillard dont l’échine est courbée par les ans
Les choses de la vie lui sont toutes connues,
Expérience et sagesse étant filles du temps.
Le savoir est venu mais, au fil des années,
Son cœur s’est refroidi, usé, blasé, lassé,
L’amour n’y coule plus, son enfance est fanée,
Sa tête est pleine, certes, mais son cœur est glacé.
Ni l’enfant ni l’ancien ne sont guère capables,
Malgré qu’ils soient touchants, d’agir comme il convient.
L’enfant est plein de feu mais n’est pas raisonnable,
L’ancêtre a le savoir mais ne désire rien.
Pour agir il nous faut outre la pensée claire
Une envie, un élan, un attrait, une ardeur.
Sans pensée, sans désir nous ne pouvons rien faire.
L’action est un enfant dont la mère est le cœur,
Le père, l’intellect. Ainsi est fait le monde
Et toute création est une trinité
Présente partout dans la nature féconde.
Voilà qui nous invite à beaucoup méditer.
Nous vivons vous et moi une époque curieuse
Où l’on côtoie des êtres qui ont trop souvent
Un cœur froid et blasé et d’une humeur odieuse,
Et la naïveté d’un tout petit enfant.
Or voici un secret et le seul efficace :
Une tête bien claire et un cœur frémissant ;
Avoir les deux bien sûr, mais à la bonne place,
La tête d’un vieillard et le cœur d’un enfant.