Quand les mains prêtent leur plume, Il arrive que des inconnus s’y mirent. La plume téméraire ne craint pas l’encre nouvelle. Elle se précipite dans ce liquide Qui déverse les secrets les plus intimes Ou livre le plus public des sujets.
Succube de cette magie, J’aime baigner dans les eaux de chine. Je me délecte à lui laisser Le gouvernail qu’elle choisit. Comme ce soir où elle navigue sans phare Et ne trouve pas de côtes Dignes d’un verbe qu’elle voudrait cueillir. Le flot se hérisse devant son effronterie.
Quel plaisir, quelque soir, D’écrire pour ne rien dire. Pour la jouissance elle-même D’utiliser des lettres d’un alphabet, Sans pour cela conclure un roman Ou composer des vers. Jouer aux lettres comme on joue aux dés : Tirer au sort et se mettre Martel en tête Pour offrir la plus belle des fleurs, Un lys en cieux obscurs. Qu’en serait-il si je les buvais ? L’encre devient le fruit d’un cépage divin Et la plume lui rend hommage en toute modestie.
Car je ne suis point poète ou écrivain ; Je ne suis qu’avorton D’un art et fils d’une passion. Ô ma langue, que tu sois verte ou de bois, Il ne serait grimoire plus enchanté Que celui où tu choisirais de m’écrire ton histoire.