Tant de mots se bousculent ce soir A la pointe finement taillée de ma plume ; Toute la maisonnée dort, se terre dans le noir. Et pareil à mon cœur, notre jardin s’embrume.
Au travers de la vitre embuée, comme des fantômes, Je vois les branches du vieux chêne, mues par le vent. Sur la table, rouge et un peu ratatinée, une pomme M’offre son dernier relent de parfum et l’âtre m’attend.
Mes pensées s’envolent et puis reviennent Coucher précieusement sur la feuille de papier Des souvenirs de l’enfance qui fut mienne Et que, encore naïve et crédule, j’ai tant aimé.
J’entends à nouveau les éclats de rire cristallins De mes frères et la voix grave de mon père Qui nous rappelle qu’il n’y a plus de pain, Et qu’il faudra sans tarder aider notre mère.
Les yeux humides et fatigués par la fumée âcre Qui s’échappe invisible de l’antique cheminée, Cette femme de trente ans, frêle mais opiniâtre, Pour nous a laissé s’effriter toute sa beauté.
Aussi loin que m’emporte ma pauvre mémoire Je ne la vois jamais assise, sereine et reposée. Déjà quelques mèches blanches entre l’éclatant noir De sa longue chevelure signent les tourments endurés.
Ce soir, je me sens le cœur lourd de cet amour Simple, gratuit et à l’odeur du bon pain Qui se pétrit, lève et puis, enfin, cuit au four Pour nous nourrir jusqu’au lendemain.
L’encre épais de ma plume est comme une fontaine D’où s’écoule pur et sans prix, votre amour de parents. Ma gratitude inavouée, au fil des lignes s’égrène Afin de perpétuer pour mes bambins, cette vie d’antan.