Quarante ans déjà ! Pas possible ! Il n'arrive même pas à y croire; Pour lui, c'était hier, Il se souvient de presque tout, Des usines en grève illimitée, Des étudiants sur les barricades, De l'essence qui manquait, Des manifs enthousiastes, Et de cet air incroyable de liberté ! Quarante ans ! Cela veut donc dire Qu'aujourd'hui, ils doivent avoir Soixante piges et plus, les copains Avec qui il défilait en ces jours de mai; Il se souvient, à Lyon, rue Franklin, De la piaule de son pote espagnol, Au cinquième étage sans ascenseur, De ces discussions interminables Qui se prolongeaient jusqu'à l'aube, Les filles étaient souvent jolies, Elles faisaient bien l'amour, Elles croyaient au miracle, Et lui aussi il en rêvait, De ces lendemains qui chantent, De la lutte finale, de l'Internationale. La révolution avait pris fin tristement Dans les urnes, les bourgeois revanchards Avaient repris du poil de la bête, La belle aventure n'avait duré Que le temps d'un joli mois de mai.