Etrange, le bus
Jailli de nulle part, venu de son néant,
L'autobus s'arrêta, c'était pourtant le même,
Celui de tous les jours, comme du jour d'avant,
Mais il était étrange au crépuscule blême.
Silence à l'intérieur, pas un mot, pas un bruit,
Juste le crissement de ses pneus sur l'asphalte,
Car il allait très vite, un obus dans la nuit,
Je regardais passer les stations, nulle halte.
J'allais au terminus mais pourquoi tous ces gens
Restaient ainsi assis, le regard dans le vide?
Comme à mon habitude, dès que je le ressens,
J'ai sorti mon stylo mais il s'est fait aride.
Non plus rien ne "sortait", la plume était à sec,
Comme en un cauchemar la page restait blanche,
Elle semblait narguer et tout le reste avec,
J'étais paralysé, main figée dans ma manche.
Le bus continuait son sinistre trajet,
Le chauffeur conduisait en robot impassible,
J'étais, me semblait-il, un peu comme un jouet
Qu'on menait à la mort, une issue impossible.
C'est là que j'ai compris que seul j'avais le choix,
Parmi tous, de descendre avant l'arrêt ultime,
Les autres étaient déjà dans leur cercueil de bois,
Il me fallait écrire au moins juste une rime.
Comme un enchantement ma feuille eut un frisson,
L'encre s'est faite bleue, un flot de sang qui coule,
Lors j'ai su que la vie tenait à la passion,
Pour émerger du lot de l'anonyme foule.
Le bus a ralenti. "Avant dernier arrêt"
A déclamé soudain le conducteur morbide,
La porte s'est ouverte effaçant le décret,
Sur le fronton j'ai lu : "Destination Le Vide".
(23.12.2003)