J'ai vécu au pays des arbres fiers et sombres Aux poumons de tonnerre que frappent tout les vents Les saisons amoureuses étaient toutes tâchées d'ombres En parsemant son ciel de bouquets enivrants
Les sources enchantées de la nature grasse Lavaient les cieux bouillants sous des fontaines claires Et puis le soleil bleu, respirant l'herbe basse Réchauffait doucement les nuques déletères
C'est l'Auvergne sauvage, remplie de coups d'épées ! Qui m'a donné l'ivresse dans un bol de chêne Qui a bâti l'orage de ma vie condamnée Dans l'écorce profonde des montagnes lointaines
J'ai vu tant d'amazones, dessiner l'horizon Avec leurs jambes frêles, peinturlurées d'azur Des nausées déchirantes! J'ai eu trop de visions De douleurs au soleil, brûlant ses ailes pures
Je fus les dentelles fraîches, que forçaient les rayons Des lunes haletantes qui battaient la cadence Des coeurs de la nature, et j'oubliais mon nom Pour suivre dans la nue les étoiles qui dansent
Je fus les sommets noirs, ou couchait un soleil Sans espoir, minéral, anesthésie rougeâtre Et les cieux crépitants, qui s'effondraient pareils Aux étranges rideaux qui ferment les théâtres !
J'ai vécu mille siècles dans le vaste monde vert Inventeur coloré des roses et des pins Dans la danse des mouches aux rondeurs amères A quantifier des aubes aux chaires de satin
Quels formidables rêves m'ont donné les étoiles ! Dans leurs bras délicieux ces grandes impératrices ! Elles ont laissé gonfler les courants dans ma voile Et j'ai levé mes ancres, droit vers l'horizon lisse
Et le monde fut si vaste, au temps de mon plaisir Que je plongeais dans l'astre brûlant de l'avenir Et j'y vis les dansantes frondaisons Australiennes Qui se mêlaient au charme fou des bohémiennes
Et quand la mer claquait, sous mon aile voyageuse Crachant ses dangereuses écumes de fumée Quand des îles chantaient dans l'aube malheureuse Dans un bain de sueur, je me suis réveillé .