Qu’il est beau cet échiquier Accoté au mur de ma chambre. On dirait un grand bouclier D’un vieux combattant dans l’ombre Ou un trésor dans les décombres, Comme un vrai joyau ciselé Qui éclate dans la pénombre Dans son triple verni giclé.
Il me rappelle tant l’enfance, Les midis de guerre entre amis. On se donnait dans le silence Tous nerveux comme des fourmis. « On ne se bat pas à demi Pour gagner une grosse pièce. » Avec un esprit insoumis, On était de la bonne espèce.
Encore avec mon petit frère Quand j’étais un mini poupon Tout gros comme un verre de bière, Beau comme un morceau de bonbon, La couche encore au troufion. Je prenais bien trop de recule, Pendant que frérot, le bouffon, Gagnait toujours comme un hercule.
Ma mère m’apprit quelques règles, Bonne comme un ange charnel Et éclairé comme un grand aigle, Tout le constitutionnel, Tout leur mouvement solennel, Cheval au-dessus de la foule, La tour comme le colonel, La reine avançant sur la houle.
Cet objet m’est si précieux Que j’ai du mal en m’en défaire. Mon cœur se serre en ces lieux Où il traine dans mes affaires. Je creuserais un trou en terre Pour le recouvrir comme un mort, Mais il est soudé au cratère De mon âme comme de l’or.