Longtemps j’ai voyagé sur de frêles esquifs, Erré dans le désert des solitudes mornes, Ecorché mes remords sur les noirs récifs Des espoirs que l’ennui chaque soir écorne…
La nuit souvent, de sa tendre promesse, Assoupit mes sens en étendant son voile, Sous mon regard plaintif elle dit une messe, Une homélie légère que la lune dévoile
Morphée me souffle alors un songe étrange Et envoûtant, peuplé de chimères marines, De gouffres, de gorgones ,de lueurs orange… Des senteurs anisées taquinent ma narine,
Et tel l’oiseau blanc qui se joue des nuages Vers des îles lointaines je me laisse emporter Là, dans le lit du vent, des mouettes volages De belles goélettes paraissent escorter !
Trois mats qu’un des Titans tailla de sa main forte Une forêt de voiles arrondies mais véloces, Arborent fièrement, portées par la cohorte Des haubans lisses et hauts, hissés par des molosses !
Tel un habit de fête, une belle latine, Par un gabier altier drapée de doux atours Offre son galbe pur d’exquise brigantine Au vent qui la caresse et qui se fait velours
L’aurique voilure, aux ocres enroulée, Parait une soierie finement ourlée d’or Et l’horizon drapé se répand en coulée Sur l’artimon cambré que l’aurore mordore
Magie et parfums des îles enchanteresses Imprègnent ponts de chêne et bois de cales Et trônent encore d’antiques forteresses Dont on devine au loin les ombres monacales
Dans le sillage marbré par l’argent et l’albâtre La traîne d’une Ophélie sur l’onde valse et luit, Doucement vient s’ébattre l’écume folâtre Avec un goéland que sa blancheur séduit
Dieu qu’il est loin le temps des goélettes Des bricks, des galions, des côtres et brigantins Des dames sur les quais qui levaient leurs voilettes Pour voir s’éloigner beauprés et tourmentins !
Où sont donc les géants de la marine à voile Ailleurs que dans nos rêves ou nos doux souvenirs ? Les rivages sont vides, et dorment les étoiles, Sur les flots silencieux je voudrais un navire !