D201023 : Pensées slaves
"Comme je te disais, tu me rappelles cette jeune Russe, que j'avais rencontrée à Saint-Petersbourg.
J'allais à une conférence que je devais donner au château des Ingénieurs, dans le parc de Mikhaïlovski.
C'était en novembre, il y a 6 ans. L'hiver avait saupoudré de neige le paysage et malgré ma chapka, le froid me glaçait le crâne, moi l'européen au climat tempéré.
C'est alors que, traversant le pont Sadovaya, j'entendis une mélodie interprétée par une voix cristalline.
Une jeune femme, aux yeux d'un bleu boréal, aux cheveux longs dont la couleur slave rendait jaloux le soleil d'arctique.
De sa bouche d'un rouge profond, une Aria m'envoûta et me statufia.
Je reconnu "La mamma morta" qu'elle chantait dans un italien impeccable, elle, la descendante parfaite de Sainte Cyrille.
Ah je me rappelle encore ces vers : 'Io son divino! Io son l'oblio! Io sono il dio che sovra il mondo, scendo da l'empireo, fa della terra'
Ils résonnaient au plus profond de mon être.
Ah cette mélopée, cette voix.
Subitement la sirène d'une embarcation qui naviguait sur la Moïka me rappela à l'ordre, comme pour me dire : 'Vite, cours, ou tu seras en retard pour ta conférence'.
Je repris alors mon chemin, pressé mais envoûté. Le froid avait fait place à une paix intérieure et une profonde chaleur avait irradié en moi.
Après ma conférence et l'interminable séance de palabres qui s'en suivi, je reparti, d'un pas alerte vers l'endroit où la jeune slave avait fendu mon cœur.
Malheureusement elle n'était plus là.
Les jours qui suivirent, je tentai à plusieurs reprises de la retrouver mais en vain ; mon infortune ne me permit pas de la revoir.
Il m'arrive encore, quand l'hiver arrive et que le froid montre ses griffes, de penser à cette femme, qui l'espace d'un instant, avait volé mon temps et mon cœur.
Il m'arrive de m'imaginer la vie qui aurait été la mienne, si je ne l'avais pas quitté et que j'eusse eu le courage de faire sa connaissance ; peut-être que ma vie aurait alors bifurquée du côté de la Neva, près d'une ange à la voix séraphine."
Des Lyres - 201023