C’était un rude hiver plus froid que de coutume Les pierres de nos murs se fendaient à moitié L’on croyait que la neige transformée en écume Par les vents du nord-est, sans pause, ni pitié,
Donnaient aux haies de buis une mousse blafarde Qui tombait en grumeaux quand on la déblayait. Les rosiers que mon père avait jadis veillé N’avaient pas résisté aux coups de hallebarde
De l’intense tempête. C’est dans ces conditions Que je peignais la nuit , le jour. Et même si Mes tubes de peinture étaient à la merci D’un refroidissement, je prenais possession
De la toile avec force que tu tentais de lire. Nous rêvions de fruits d’or et de viandes fumantes, Des tableaux de Gauguin aux couleurs provocantes Et tu moquais mon Art de mille éclats de rire.
C’est là qu’on s’est aimé en lambeaux de misère : Nul ne nous visitait, nous étions seuls à vivre Tu jouais au modèle, frissonnant sous le givre Et récitais des vers de Charles Baudelaire
Pendant que j’essayais - O Ces mains trop meurtries - De trouver la couleur qui te ferait sépia La plus belle des Nus, la nouvelle Olympia Celle dont je rêvais. Vie ! Fou ! Idolâtrie !
Puis le temps est passé, les beaux jours revenus. Tu es riche et comblée. Tu t’es mariée avec Un universitaire. Qui enseigne ? Le grec ! Il t’a fait, m’a-t-on dit, deux enfants. Et mes nus ?
Ils rient allègrement au fond de mon grenier Car nul n’en a voulu, même pas le marchant De légumes à Sextus, ni le vieux chiffonnier De la rue Alphéran que tu trouvais méchant.
J’ai jeté mes pinceaux, replanté vingt rosiers Perdu dans le néant des choses de la terre. Et le soir en été dans les blés, solitaire, Je pense à toi couché sous le vieux merisier.
Je m’en irai bientôt en laissant cette trace Ton prénom noir, inscrit, sur le bas de mes toiles. Tu n’auras été qu’un petit air frais qui passe Une averse muett , un petit bout d’étoile.
Je vais bientôt mourir, rentrer dans le silence. Le village saluera mon cercueil au passage Peut-être viendras-tu me souffler : « Bon voyage » ? J’irais te réserver un billet. Par avance !