Lorsque l’haleine nuageuse D’un Éole éthéré Caresse les cimes neigeuses D’une chaine acérée
Et que descend du firmament L’épaisse toison noire D’un troupeau de moutonnements Comme des éteignoirs
L’homme-berger sur le sommet Se redresse en étoile L’éclat tortueux d’une ormaie Dans sa main seigneuriale
Et en avant la musique ! Qu’automne s’ombrage ! Qu’étonne l’orage ! Que tonne la rage !
Sonnez les tocsins ! Sonnez les trompettes ! Depuis la Saxe et ses hauts bois Sifflez les essaims ! Sifflez la tempête ! Délestez-vous de vos abois
Au loin les carillons Et l’appel du triangle De lointains aiguillons Qui enflent et désenflent
Et en avant la musique ! A moi les chœurs joyeux ! Que s’enflamment les cieux ! Grondez de mille feux !
Grincez vos corps de violoncelle ! Altos fortissimo Sans craindre la violence en selle Sur des airs lacrymaux
Roule l’approche des tambours Le martèlement des tam-tams Métrique d’un compte à rebours Présage d’un proche ramdam
Et en avant la musique ! Que zèbrent les éclairs ! Que roule le tonnerre ! Que s’embrase la terre !
Crissez haut les violons ! Pincement de cœur pincement de cordes Chevauchez l’étalon Sans contrecœur sans monocorde
Les caisses claires et les grosses caisses Percutent le tympan tambour battant Chocs patatras assénés pataquès Tel le tir des canons à bout portant
Et en avant la musique ! Multipliez tous vos cris ! Qu’implosent les mélodies ! Qu’éclatent les symphonies !
Heurtez les touches du piano ! Et l’ivoire et l’ébène L’attaque des petits pantins marteaux A la trempe cubaine
Une ultime explosion en un coup de cymbales Le temps d’un coup de foudre et d’une percussion Et le son caverneux d’une pierre tombale Silence susurré sans la moindre ovation
Encore un discret roulement de tambour et… Plus rien Plus rien Si ce n’est L’écho peut-être L’écho peut-être L’écho peut-être A peine réfléchi sur les parois lointaines Lointaines
Rien Une goutte Rien Une seconde goutte Plus rien Une troisième une quatrième Plus rien Une goutte encore Et ainsi de suite…
C’est le ciel qui déborde D’un trop plein d’émotion Il pleut des cordes Et des violons Mais l’orage est l’orage Et l’orage est passé Cette pluie va cesser Puis les larmes sécher La nature inchangée
Alberto rassure-toi Le troupeau est bien gardé
Alberto : Alberto Caiero (Fernando Pessoa) poète portugais dont le recueil Le gardeur de troupeaux chantait l’idée qu’il faut aimer les choses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles paraissent
Extrait : " Holà, gardeur de troupeaux, sur le bas-côté de la route, que te dit le vent qui passe ?" " Qu'il est le vent, et qu'il passe, et qu'il est déjà passé et qu'il passera encore. Et à toi, que te dit-il ?" "Il me dit bien davantage. De mainte autre chose il me parle, de souvenirs et de regrets, et de choses qui jamais ne furent." " Tu n'as jamais ouï passer le vent. Le vent ne parle que du vent. Ce que tu lui as entendu dire était mensonge, et le mensonge se trouve en toi."
NB01 : Lorsque nous sommes tristes nous aimons (nous) raconter des histoires, mais finalement, la nature reste la même. Nous ne faisons que passer.
NB02 : Le titre et les 3 premiers quatrains essaient de représenter le corps de l’homme-berger qui se redresse sur la montagne comme pour invoquer la nature et protéger le texte qui s’en suit