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Erwan AMIRI

Extinction de voix dans la nuit polaire

L’Ourse blanche a quitté la banquise
effacée de la nuit
par la gomme spectrale de la ville insomniaque
encombrée du halo
qui
de jour comme de nuit
l’éclaire
et rend le ciel falot
du point de vue de l’Homme

Du point de vue de Ourse
la Grande
il en est autrement

Peureuse
trop heureuse de ne plus craindre
pour elle et sa progéniture
l’Homme menaçant
son fusil à lunette télescopique toujours à portée de la main

Quel chasseur à présent
pourrait-il les débusquer de leur tanière
dans le clair boréal de leur monde polaire ?

Et l’Ourse
la Grande et la Petite
de rire
de rire
et de rire encore
en s’imaginant
sous les réverbérations des multiples étoiles terriennes
le nombre des têtes en l’air
et leurs torticolis désespérés
pour tenter de les retrouver

Un rire
un rire explosif
si FORT et si ÉNORME
qu’il finit par surprendre un vieux chasseur
Sibérien solitaire
oublié dans l’Arctique

Le très vieil homme
alors pris de panique
sort son fusil de son étui de peau de renne
et tire plusieurs coups en l’air
avant de déguerpir
de peur de voir le ciel lui tomber sur la tête

Depuis cette nuit blanche
l’Ourse
la Petite
en extinction de voix
ne rit plus

La Grande a disparu
dans le silence
l’indifférence universelle

Car l’Homme
trop terre à terre
trop habitué à ne rien voir
à ne plus regarder crapahuter les Ourses dans leur habitat naturel
mais dans les cages des zoos
ou derrière de petits écrans lumineux
ne réalisera que d’ici à quelques années
quelques centaines, quelques milliers d’années peut-être
le drame qui s’est joué sous ses yeux ce soir
avec pour seul souvenir
un écho
une trace
la lumière des étoiles mortes derrière la vitrine d’un musée

(les sauts de paragraphes sont ici utilisés pour marquer le rythme du texte comme sur une partition)