Je n'ai gardé de toi que le souvenir flou D'un regard angevin, d'une douce frimousse, D'un plissement des yeux, d'un nez qui se retrousse Quand tu riais de moi et t'amusais de tout.
Je n'ai gardé de nous qu'une photo de classe Où l'on devine à peine en un coin du papier, Tout au fond d'une cour, deux ombres qui s'enlacent Dans la pâle lueur de cet instant figé.
Nous étions deux amis qui, l'école finie, Ont suivi leur chemin sans plus se retourner, Une idylle d'enfants aux âmes désunies Que le destin poussait vers d'autres voluptés.
Et j'ai eu brusquement ce besoin furieux De remonter le temps et te rendre visite, De chercher sans délai le lieu où tu habites Et te dire combien j'avais été heureux.
Et je suis arrivé au bord de ton jardin Dont le portail ouvert si tôt de bon matin Laissait penser que chez toi nul n’est importun Ou que peut-être alors tu attendais quelqu'un.
J’avais le cœur serré et la gorge oppressée Alors que j’avançais dans la petite allée. Il me faudrait bientôt affronter cet instant Si souvent différé depuis près de vingt ans.
Fallait-il insister ou bien m'en retourner, Allais-tu m'accueillir ou bien me renvoyer, Comment comprendrais-tu les mots que j’allais dire, Allais-tu t’en moquer ou bien t’en attendrir ?
Je me suis arrêté au seuil de ta maison Dont l'ombre s'allongeait dans le soleil d'été, Et je suis resté là, triste et désemparé, Face à ce marbre froid où on lisait deux noms.
Et prosterné devant ce rectangle de pierre, Envoûté par des chants qui semblaient s'élever Comme un hymne sacré du profond de la terre, Je t’appelai tout bas et me mis à prier.
Quels merveilleux moments me furent accordés Et quel doux serrement en entendant ta voix, Tellement cristalline et lointaine à la fois Qu'incrédule et surpris je me suis retourné.
Pas un souffle de vent ne caressait les branches Des grands arbres dressés au milieu du silence. Un jardinier au loin ratissait en cadence Un terrain parsemé de bouquets de fleurs blanches.
Ce n'étaient ni des mots ni moins encor des phrases Que je perçus alors dans ces instants d'extase C'était un long murmure aux accents familiers, La plainte d'un dormeur dans un rêve agité.