Un jour, quand j’avais à peu près seize ans, une fille inconnue, qui en avait à peu près vingt-deux, m’apprit que je ressemblais trait pour trait à un porc-épic. C’était dans un petit bar somnolent, juste en face de la mer, où tout seul, accoudé au comptoir, je buvais, à même la bouteille, du coca-cola. Elle était jolie, cette fille inconnue qui venait de surgir devant moi ; elle portait un short hardiment échancré, et sa chemisette modelait le contour pointu de ses seins. Elle me regarda d’un drôle d’air et dit sans aucun préambule : « Tiens... un vrai porc-épic ! » Puis, comme je me taisais, elle se mit à rire en voyant la bouteille de coca-cola qui s’était soudain arrêtée à mi-chemin de ma bouche : « Un porc-épic en position de combat ! » J’avais les cheveux très lisses, ma main droite les remettait en place chaque fois qu’ils étaient hérissés par le vent ; ma physionomie ne rappelait pas non plus le museau de la pauvre bête que je n’avais vue, dans ma vie réelle, qu’au zoo, et pourtant la fille dégourdie croyait que j’en étais le portrait tout craché. Ce jour-là, je n’ai pas compris où elle voulait en venir : cherchait-elle à m’impatienter, m’offrait-elle ses faveurs ou bien son humeur était-elle aigrie par quelque malaise féminin ? Je n’ai rien compris, ce jour-là... Et maintenant, mon âge d’or révolu, je me mire dans la glace au sortir du bain et je vois les piquants de méfiance, de dégoût, de mélancolie parsemer mon corps : durs, aigus, menaçants...