Les moissons de silence
Je rêve pour demain de mauves transparences
Où s'inscriraient, légers, les instants et les jours,
De tulles et de soies, de subtiles fragrances
S'exhalant le matin au travers des ajours,
Dentelles et pertuis que la nature brode.
Je rêve de chemins, je rêve de talus,
D'un pommier rayonnant autour de sa custode
Quand le soleil exulte et ne disparait plus.
Je rêve de prairies, de vertes opulences
Ondoyant sous le vent, de vignes embrasées,
De champs où nous ferions des moissons de silence,
Parfumés de troène et de menthe écrasée.
Je rêve d'un hameau, comme une barque bleue,
Sur les brumes bercé, discret et incertain,
Amarré au hasard des espaces sableux,
Parmi les églantiers, l'oseille et le plantain.
Je veux une maison comme une main ouverte
Où picore l'oiseau entre deux envolées,
Chaleureuse, tendue comme une main offerte
Aux amis et aux chats, aux âmes désolées.
Un fleuve calme et doux viendrait battre le seuil,
Etirant son grand corps le long de la barrière,
Plus fidèle qu'un chien, paisible et sans orgueil,
Satisfait du reflet d'une rose trémière.
Il nous apporterait, comme des ronds dans l'eau,
Les échos assourdis des soubresauts du monde
Et nous verrions, le soir, le vol des grands oiseaux
Magnifier notre vie de quêtes vagabondes.
Je rêve pour demain de regards, de tendresse,
D'un ciel venu si près qu'on y appuie la joue,
D'un arbre tout bruissant d'une vive allégresse :
Je rêve d'un bonheur que plus rien ne déjoue.
