Marché aux âmes
Approchez gentes dames, gentils messieurs !
Comme l’on parlait jadis sur les foires
Pour attirer le passant, le nez aux cieux
Et le plonger tout cru dans leurs belles histoires.
Approchez, ici on vend des âmes, des bonnes, des pures
Qui ont peu servi et bien loin de l’usure
Ou parfaite ou quasi, pleines de bel esprit
Qu’à ce prix le vôtre s’en verra embelli.
Tenez, celle-ci, m’en donnerez-vous combien ?
C’est celle d’un prophète ou encore celle-là
Du plus grand cru d’académicien.
L’une ou l’autre grand bien vous fera.
J’ai aussi de l’écrivain, du petit, pas cher,
Du laborieux qui grattait comme un forçat
Au pied du mur qui ne fut jamais une chaire,
Qui vous passe la plume d’un labeur bien ingrat.
Mais aimerez-vous plutôt l’âme enrubannée
Couverte de médailles au garde-à-vous du drapeau
Pour une route naïvement décorée
Celle, vous menant héroïquement au tombeau ?
Ou encore celle-ci d’un président d’un pays ,
Il vous faudra alors aussi la carte d’un parti,
Un peu cher pour ce parcours de prestige
Pour une cuisine du monde qui donne le vertige !
A moins que vous n’aimiez l’or de préférence
Et songiez à dormir sur les images de votre enfance
Vous pourriez alors opter pour des âmes pieuses,
Plus proches, voyez-vous, de ce marché-là,
Mais pardonnez à leur rigueur heureuse
Elles ne veulent quitter leur au-delà.
A votre oeil qui s’éclaire devant ce ballon
Je devine que c’est lui qui vous tente
Avec lui, certes, tout paraît bien rond
Comme une terre qui tournerait toute contente.
D’ailleurs le prix en est trop élevé,
Trop de demandes, voyez-vous, pour cette facilité.
J’ai bien celle-là, enfin, mais personne n’en veut
Une âme vide de tout, le nez dans les nuages
Rien dans les mains, qui vit de peu
Et qui sur ce marché ne coûte rien en héritage !
Approchez gentes dames, gentils messieurs..