Que cherchais-tu Jonas au fond du "Cachalot" Dans ce miteux troquet bourré de matelots Qui bavaient leur verjus sur d'amples jarretelles Sentant le tabac froid des vieilles haridelles?
On avait dit de toi que tu convertissais, Personne ne savait quel était ton secret, Tu parlais d'un Yavhé mais à quel taux de change, Cela semblait risqué avec ce nom étrange!
Tu avais redressé Zanzibar dévoyée Qui se vautrait dans l’or de ses odieux méfaits, Ses trafics d’esclaves pendus aux girofliers Sous l’oeil avide des sultanes vérolées.
A Trébizonde, dans l'ivresse des épices, D'éclatants pendentifs, d'ondoyantes soieries, De parfums suaves et de tapisseries Qui éclipsaient le soleil par tant de délices,
Tu les subjuguas tous par ton verbe puissant, Ces monarques cruels, pédants et luxurieux, Ils se sont prosternés comme des pénitents Devant ce Dieu lointain qui les rendaient honteux.
On te vit sur les mers des déments Barbaresques Qui effrayaient les tempêtes et ouragans De leurs cris sauvages, de leurs lèvres en sang Quand ils croquaient les os des bourgeois prudhommesques.
Ta foi rayonnante chassa leurs vils démons, Ils se mirent à sangloter tels des enfants Et leurs pleurs gonflèrent les vagues de l'océan Qui s'enroulaient, sifflants, tels d'effrayants pythons.
Tu visitas au nord le royaume de glace, Là, des tribus féroces sculptaient des idoles Qu'ils abreuvaient du sang de ces vierges mongoles Capturées dans la steppe où la bise menace.
Mais jamais, tu n'irais plus jamais à Ninive Confiais-tu encore à tous ceux qui t'écoutaient Car là-bas personne ne se repentirait Car là-bas les lumières sont toutes captives.
Alors, quand deux anges sont venus te chercher Dans leur blouse blanche, quand ils t'ont emmené Dans un large fourgon ainsi capitonné, Tu as su hélàs qu'il fallait y retourner.
Bientôt devant une herse toute rouillée, Tu as reconnu cet immeuble désolé Où erraient dans un parc quelques spectres damnés A la recherche de leurs âmes envolées.
Quelle fut ta surprise quand ils t'applaudirent Toi, le grand prophète qui devais les maudire! Sur la vieille enseigne, on pouvait lire "Ninive, Aile psychiatrique/Psychose évolutive".