Laocoon leur criait là haut avec conviction : « L'offrande est un leurre, un piège, une illusion Qui vous détruira, enfants de déraison ! Sachez que ce faux remède est un vrai poison .
L'ennemi est en vous déjà par votre orgueil Et maintenant il va l'être sur votre seuil Vos bourreaux sont tapis au fond de cette idole Quand vous l'adulerez, la mort tiendra son rôle ».
Il planta son courroux à l'aide d'un javelot Dans le flanc tout grinçant du cheval sans galop, L'écho se prolongea en son antre fécond D'où sortiront, haineux, les fils de Deucalion.
Le peuple, Laocoon, que tu comprends si bien N'a cure de tes mots aux accents stoïciens, L'heure est aux agapes et autres bacchanales, Aux délices d'Eros, aux noces triomphales.
Toute victoire est un sursis à la défaite, La lyre harmonieuse devient l'arc des tempêtes Quand s'éteint le soleil dans les yeux des chorèges La nuit et son royaume engouffrent le cortège.
Alors vieux Laocoon va implorer ces Dieux Sur cet autel désert à l'aspect trop ruineux, Ils sont partis si loin ces immortels futiles Qu'ils n'entendent plus rien de ta plainte inutile.
Et quand ces deux serpents aux écailles de feu, Aux crètes sanglantes, aux orbes ténébreux Jailliront de la mer tels d'effrayants cyclones Aux sifflements fielleux que lancent les démones,
Quand ils dévoreront tes enfants si gracieux, Quand ils t'étoufferont dans leurs anneaux vicieux, Tu comprendras alors que le chaos vainc seul, La vie n'est qu'un instant délivré du linceul.
Mais le marbre éternel gardera à jamais Ton drame solennel inspirant la pitié, Et rendra moins cruel ce sort immérité D'être resté fidèle à ta lucidité.