Pendant qu’il sermonnait devant l’autel de Dieu Les paroissiens troublés le regardaient anxieux, Un voile noir discret dissimulait ses traits On pouvait seul y voir des lèvres qui bougeaient. Un vent de panique parcourut les rangées Quand retentit la cloche, ce fut la curée, Quelques vieilles bigotes toujours à l’affût Epiaient avidement la fin de ce raffut. Et tentèrent en vain de percer le secret Qui semblait affliger le ministre prostré.
Chacun y alla donc de son avis fielleux C’est un mal mystérieux qui rongeait le vicieux Un terrible crime qui l’avait terrassé Et les parents suspects surveillaient leur puiné, D’autres l’avaient surpris dans le vieux cimetière Invoquant le grand bouc et d’affreuses sorcières, Avait-il célébré d’incestueux mariages Entre des morts-vivants assoiffés d’héritage ?
La pauvre chapelle fut bientôt délaissée Y siégeaient un aveugle et quelques malandrins Qui aidaient le pasteur à partager ses biens Jusqu’à lui emprunter sa propre fiancée On le voyait errer les épaules voutées, Spectre pitoyable à la crêpe redoutée, Le village attendait le jour de sa passions Non par curiosité mais commisération.
Et vint cette heure suprême , autour de son lit, Se tenait l’assemblée récitant l’hallali Quand des doigts avides voulurent arracher Ce tissu ténébreux pour l’en débarrasser, Le moribond furieux se dressa en clameur : « N’avez vous rien compris de votre grand malheur, Si je porte ce masque, c’est qu’il vous est commun, Vous en êtes couverts mais point ne le voyez, Il cache tant d’horreurs et tant de vils péchés Qu’ils vous imprègnent tous comme un mauvais parfum. Dorénavant, à chaque soir, il paraîtra, Dans votre beau miroir, il sera ce reflet De votre corruption et votre vanité ! ». Ce fut son dernier blâme enfin il expira.
Etranger si un jour à Milford vous passez, Jamais vous n’y verrez un seul de ces miroirs Et si les habitants ont tous les yeux baissés C’est de peur de se voir dans les autres regards.