Quand Eléonore se penchait du carrosse Dans son manteau rouge, festonné en Ecosse Un murmure d’admiration et de dépit Se répandait dans l’air infecté, alourdi, Car elle était si fière et si éblouissante, Une statue de marbre aux clartés envoutantes, Que les feux de soleil s’éclipsaient tout honteux Et le fleuve arrêtait son cours impétueux. Son regard si cruel aux éclats incendiaires Arrachait sans pitié le cœur des téméraires Tel ce pauvre Actéon dévoré par ses chiens Qu’Artémis châtia d’avoir vu son beau sein.
Quand Eléonore jouait du clavecin Dans son manteau rouge, brodé de vifs dessins, Ses accords funèbres horrifiaient les laquais, Effrayaient les effraies qui au loin s’enfuyaient Et son noble alezan en foulant les lucioles Brasillait, fumant tel un coursier des enfers, Un rire féroce comme un coup de tonnerre Emplissait l’espace jusqu’aux hautes coupoles. Dans son jardin d’hiver aux odeurs délétères Grouillaient d’étranges fleurs, maladives, mortuaires, Sur un marais putride aux nénuphars dolents Suffoquaient des phalènes au vol évanescent.
Quand vint le jour du bal aux atours somptueux Les miroirs reflétaient ces beaux profils envieux, Et chacun concourait dans ses scintillements A ternir les flambeaux qui valsaient doucement Alors, Eléonore apparut, fascinante, Dans son manteau rouge aux perles rubescentes, Portait-elle un masque qui flambait de couleurs Ou était-ce sa chair qui brûlait de douleur ? Sitôt un cri d’horreur figea la farandole Et tous s’écartèrent, car c’était la variole ! Et fuirent en hurlant, hélàs, ce fut trop tard, La beauté convoitée n’était qu’un cauchemar.
Tout fut donc dévasté, du château aux ruelles, Rien ne fut épargné par ce sort si affreux, Le manteau ne cachait qu’un secret disgracieux Pour l’avoir oublié, plus d’un perdit son ciel.