Une pluie obstinée flagelle les carreaux De ces mornes maisons aux étouffants rideaux, Les pavés cloaqueux recueillent les eaux sales Débordant des égouts qui gargouillent en râles.
Les sombres arcades d’une place déserte, Ces statues allongées que quelques chats inquiètent, Des parterres de fleurs que la lune dessèche Sont toutes transpercées par ses infectes flèches.
Quelques gonds sinistres font trembler le beffroi Et des démons siffleurs vont souffler les lanternes Tandis que se lamente une vieille poterne D’un village du Nord où l’ennui est seul roi.
Cependant si on prête l’oreille, on entend Des frôlements crispés, de longs chuchotements, Des meubles déplacés et des verrous crissants, Des plaintes étouffées et des ricanements…
Car personne ne dort dans cette cité morte, Chacun est aux aguêts, tapi, comme un cloporte, Dans le noir on s’affaire, on cache ses frayeurs, Dans ce noir des enfers, on livre ses horreurs.
L’un scrute incessamment les moindres mouvements Avec ses jumelles, dans un fauteuil roulant, Sa seule compagne est une poupée étrange, Une hache à la main, un sourire d’archange.
Un autre s’affaire dans son vaste cellier, C’est l’apothicaire, compte-t-il ses deniers ? A moins qu’il ne cache quelques troubles intrigues, Sa femme a-t-elle disparu le long de la digue?
Et ces trois mercières au visage acariâtre Qui brodent obstinées tant d’horribles fichus Plantent des aiguilles dans des mannequins nus, Leur jetant des regards pleins de haine jaunâtre.
Le boucher Freemantle au rictus carnassier, Penché sur ses abats, brandissant un hachoir Ressemble dans les ombres qui tombent du soir A un gnome fâcheux croisé dans une foire.
Quant au maître du bourg dans son hôtel gothique Où flamboient les museaux de gargouilles cyniques, Ce colosse adipeux regarde épouvanté Les heures défiler au lugubre clocher.