Refile-moi, Clotho, encore quelques jours, Laisse-moi cheminer dans les champs de l’aurore, Son haleine fraîche chavire les peupliers Où s’accrochent têtus mes rêves d’écolier, Laisse-moi emporter cette étoile du nord, Infrangible joyau de nos jeunes amours, Mon âme suspendue au fil de l’araignée Qui tisse les heures de chaque destinée, Laisse là, Clotho, rejoindre les hautes vagues Des mers jamais connues où la lune divague! Ton cordeau, Lachésis, encercle-t-il l’abîme, Ce miroir de la peur où gémissent nos morts, Ne vas-tu retrancher les nuits de vains remords, Leur cortège sans fin des blessures intimes Et nos heures perdues à parcourir l’espoir, Son palais tournoyant de valses illusoires? Laisse-nous, Lachésis, nous rouler dans les sables, Où se sont essaimés nos souvenirs instables, Ne sommes-nous donc pas ces étoiles mortelles Que perça la lance d’un désir éternel? Alors que s’avancent dans les froides ténèbres Les longs couteaux crissant sous la lune funèbre Dans les doigts décharnés de la mère des ombres, Ne coupe pas, ne coupe pas, figure sombre! Si je suis un pantin, que mon fil s’effiloche, Atropos, n'auras-tu pas pitié d’un fantoche?