Moi, Tirésias, vieil homme aux mamelles fripées, Je fus une pythie au cours de sept années, Lisant dans les astres, j’accordais aux humains L’illusion que leurs torts venaient d’un plan divin.
Et tous ces boucs fangeux en ont bien profité Se livrant aux orgies en toute impunité, Le reflet des étoiles dans les caniveaux Consolaient leurs vices et combien d’autres maux.
Mâles et femelles sont en moi enlacés Comme ces deux serpents que j’avais piétinés Et si j’ai pu percer tour à tour les secrets De leurs jouissances, rien ne m’en est resté.
Moi, Tirésias, fils de la nuit aux lèvres d’or, Un aveugle voyant, dans l’ombre, mirador, Je les scrutais ces ténèbres de ceux qui voient Frappés de cécité dans leur quête du moi.
Terrible est le savoir quand il ne sert à rien Sinon à confirmer l’immuable destin Comme un acteur scandant la même tragédie Impuissant à changer le cours des infamies.
De celui qui résolut l’énigme du sphinx Qui se croyait perspicace comme le lynx Mais dont les pieds enflés tel un mauvais présage Attestaient qu’un boiteux ne peut devenir sage.
Il n’avait pas compris qu’en perçant la charade, C’est son propre destin qu’il avait devant lui, Qu’il allait accomplir avec rodomontade Cette atroce fusion et ce meurtre agoni.
Et deviendrait l’enquêteur de ses propres crimes Tandis que la peste amoncelait les victimes, Il devra s’aveugler devant la vérité : Si la sphynge était morte, un monstre en était né.
Moi Tirésias, enfant de l’ombre et la lumière Célèbre pour mon art foudroyant tel l’éclair J’ai révélé longtemps aux hommes leurs mystères Mais n’ai pu épargner leur séjour aux enfers.