Quand l’aurore fougueuse éveillait les marins Sur l’aride presqu’île aux pleurs des lamentins, On voyait l’orphelin porter à bout de bras Un seau rempli d’amour mais tout tremblant d’effroi. Dans sa pèlerine fripée, il traversait, Merleau aux ailes fragiles, les longs sentiers Qui ondulaient comme des serpents inquiétants Dans les lourdes brumes des sinistres étangs. Un gabier ricanait, un autre grimaçant Le suivait et mimait le famélique enfant, Enfin, leurs rires gras agressaient ses oreilles Comme ces horribles harpies dans son sommeil.
Rien ne le détournait de son ardent projet, Il allait secourir au fond de la forêt Ce géant scarifié aux branches squelettiques Qui lentement mourait sous les vents tyranniques, Complice de ses jeux aux aubes solitaires, Dans ce silence aigu quand disparut le père Et ses mains burinées, sculptées par les saisons Qui embrassaient ses joues d’un frôlement profond.
La mouette riait de son regard muet, Les vagues le mordaient, la houle le sifflait, Sous ses pas incertains, crissaient les coquillages Et le ciel emportait le troupeau des nuages. Il venait arroser des racines blessées Dans l’espoir insensé de les voir se lever Et que vienne fleurir sur ces bras moribonds Ce rêve interdit, un fragile bourgeon.
« Pourquoi suis-je abandonné sur ce grand chemin Où pousse l’épine, quand l’étoile s’éteint? ». Pensais-tu taciturne en contemplant la nuit Et son manteau d’ombre qui recouvrait ton lit. Car les mots prisonniers de ton âme souffrante Ne pouvaient s’échapper de tes lèvres errantes, Ta bouche était un coffre scellé à jamais Qui ne pouvait offrir tous ses brûlants secrets.
Mais rien n’est impossible à ceux qui persévèrent, Le temps vient accomplir un miracle, un mystère. Ainsi un matin gris où l’air semblait sans vie, Penché à sa fenêtre quand ruisselait l’ennui, Il vit ce vieux tilleul tout frémissant d’azur Où dansait une fleur aux creux des cannelures. Accouru à ses pieds, l’enfant émerveillé De sa voix retrouvée, murmura ce verset : « D’abord fut le verbe qui est devenu chair, Il nous a tant aimé qu’il nous légua la terre ».