« Adieu Aveyron! »soupiré-je Et sans crier gare ni tourner la tête Moi, Guillaume le berger, quitte sa contrée très chère « Pourquoi partir fiston? Et pour si peu? » Mots-coupe-gorge dans la bouche du padre « Et pour si peu? » quand tout le ciel s’écroule Et toutes les étoiles s’éteignent! Plus encore Chute et culbute dans le noir broyeur de rêves Dans l’abîme bouffeur d’espoir Dans le néant destructeur de toute vie! « Et pour si peu? Rien que pour une pauvre femme? » Phrases répétées en écho par la madre Deux phrases-poignards enfoncées dans mon cœur Non, je ne peux me résigner à la voir Elle, la belle Ninon, au bras d’Elzéar Le fils du notable fortuné de Millau Ce gros bêta plein de fric Ce gros lardon mi-idiot mi-débile Prétentieux et suffisant assis sur les lingots d’or Et l’immense magot de son père Non, je ne peux accepter de la voir Elle, la toujours trop belle Ninon, avec ce fils à papa Mi-chauve mi-boutonneux Désastre et désolation suprêmes Tableau quotidien de mon chagrin et de ma peine
« Adieu Aveyron! »soupiré-je Les yeux hagards et la tête pleine de cauchemars Moi, Guillaume le berger, quitte mes chères collines Et laisse mes pieds bohèmes m’amener n’importe où Toujours un peu plus loin chaque jour de ma belle Ninon Toujours un peu plus loin au Sud-Ouest de ma maison N’ayant que le Tarn comme ami Et la belle étoile comme abri… Un peu au nord d’Albi près de Carmaux Égaré, affamé, amaigri et affaibli Quelque part entre les rives Du Céret, du Céroc ou encore du Cérou? Je ne m’en souviens plus Je suis tombé dans le noir à demi inconscient Ou suis-je mort? Tout est flou, léger et irréel…
(À Michèle Corti, alias Marcek, grand-mère exemplaire, fin cordon-bleu et poétesse hors pair)