C’est à peine si j’entendis sa requête : « Maintenant, si nous passions à table! » À table? Avais-je vraiment perdu la boule? Perdu la vue? Je ne voyais absolument rien au-dessus cette table, à part l’immense nappe provençale bordée de bougies parfumées! Intrigué et penaud, je lui signalai mon incrédulité : « Chère dame, il n’y a rien au menu! » Elle pouffa de rire et calant d’un trait sa flûte de champagne. « Gatien, mon grand, je te réserve une surprise. Ferme les yeux et dis « Abracadabra !» Je lui obéis subito presto après avoir vidé ma coupe. Je fermai les paupières et hurlai : « Abracadabra! »
Ce que je vis par la suite dépasse toute imagination Et même les rêves les plus fous! Elle gisait là nue comme un ver, étendue sur la table entre les deux rangées de lampions, Sa longue robe bourgogne, Son soutien-gorge et son slip pêle-mêle sur le tapis. « Viens, jeune homme, prends-moi! Je suis ton menu principal, Ton repas magistral, Ton festin royal! Prends-moi corps et âme! Je t’appartiens! »
Je sais, je sais, je sais, Vous allez dire que je fabule Et que j’ai tout inventé! Que je prends mes rêves pour des réalités! Que je suis farceur ou menteur! Que je suis fada! Pourtant c’est la pure vérité! Moi qui avais ri des avertissements de mon patron Léon. Je réalise un demi-siècle plus tard, Après avoir vadrouillé de long en large la planète, Mangé et bu à ses meilleurs restaurants, Forniqué dans ses hôtels et ses lupanars, Fréquenté le gratin du monde entier, Que l’invitation de la belle Angélique Demeure pour moi la plus exquise des célébrations, Hymne à la vie, Pain et vin, Noce divine Digne des Mille et une nuits!