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J Ciaude DUMOLIN

Antan

Qu'est-elle devenue la grande rue poussiéreuse,
Où s'ébrouaient les poules, apatrides pouilleuses,
Pot dominical, futur mets de choix des rois,
Dans l'ornière tracée au passage des charrois.

Elles picoraient libres dans la bouse, le crottin,
Ne craignant que la dent de l'impudent mâtin,
Ou la vile rapine du bohémien hideux,
Qui hantait les nuits de tous les gamins peureux.

Où êtes-vous infatigables paysans sans trêves,
Du levant au couchant, après une nuit brève,
Vous qui faisiez crisser vos faux victorieuses,
Sur l'ultime étape de vos récoltes laborieuses.

Qui se souvient, de ces âmes intemporelles,
Emportées par le flot d'une marée virtuelle ;
Seul témoin matériel, l'empreinte de vos doigts,
Gravés à tout jamais sur vos manches de bois.

Où sont tous ces matins encombrés de brume,
Où passaient les chevaux déjà blancs d'écume,
Les vaches aux pis roses tout gonflés de lait,
Avant que l'angélus ne donne son couplet.


Où sont tous ces gamins, aux atours surannés,
Qui grimpaient aux arbres au mépris du danger
Qui gardaient les chèvres, conduisaient les troupeaux,
Faisaient les provisions de bois, les provisions d'eau.

Où sont ces écoliers aux grandes blouses grises,
Redoutant leurs maîtres et la très sainte église,
Qui desservaient Dieu mais côtoyaient le diable,
Ces pilleurs de nids, maraudeurs insatiables.

Où sont tous ces visages patinés par le temps,
Façonnés à l'école de la vie, âprement,
Celle qui dispense cette sage humilité,
Bannie des livres qu'ils n'ont jamais feuilletés.

Sous sa dalle de béton, le ruisseau recouvert,
A charrié au fleuve, aux abysses de la mer,
Tous ces souvenirs chus dans l'oubli de l'onde,
Que la vague de l'indifférence... inonde.