Faut-il douter que la gourmandise soit une vertu ?
En cet équipage vous me voyez meurtri,
Ignorer la gourmandise, j’en suis surpris,
Et la considérer comme un vilain défaut,
Ma volonté d’en découdre est prise d’assaut.
Comme bourguignon, je lui élève un autel
Pour chasser tous ceux qui contre elle forme un cartel.
La gourmandise, un défaut, mais quelle bêtise,
Alors que sa fréquentation nous est exquise.
Elle vous conduira à tant de raffinements,
Je vous l’accorde, avec un risque d’abonnement,
Mais, en convive fidèle, vous serez sous son charme.
Sans abus, vous n’aurez pas à tirer l’alarme.
Vous savourez les arômes boisés d’un vin
Et un gibier aux endives, en ballotin.
Vous dégustez des grenadins de veau au madère,
Servis avec un grand rouge à sa robe altière.
Parmi les convives qui mangent avec envie,
Vous faites en leur compagnie l’éloge de la vie.
Reviennent en vous les souvenirs de votre enfance,
Les saveurs que vous y aimiez en abondance.
La gourmandise serait un péché capital,
Mais nenni, fuyons ce concept occidental,
Il ne s’agit que d’un acte d’amour sincère,
Charitable, au service de la bonne chère.
Croyez moi, elle est une vertu cardinale,
Nous ouvrant la voie à de belles bacchanales.
Je vous l’assure, les péchés seraient bien ailleurs.
Ainsi, manger des pommes de terre sans chaleur,
En gourmet avare, avec un appétit d’oiseau.
Etre un gourmet paresseux, au bord d’un ruisseau,
Avalant une banane et bien d’autres fruits.
Ou l’envieux qui dans l’assiette d’un autre s’introduit !
A tant faire que de pécher, autant le faire bien,
Devenons un gourmet courageux mais stoïcien.
Le foie gras et le saumon vous enchanteront.
Quelques beaux crustacés vous émerveilleront.
Vous appréciez un pavé de biche aux girolles,
Vous êtes disposés à chanter une barcarolle,
Après quelques gorgées d’un Volnay élégant.
Je veux vous le dire sans mettre des gants :
Dire que la gourmandise est un vil péché
Est un dire qui ne doit plus être prêché.
En compagnie de notre amie la gourmandise,
Nous développons une affection dans la franchise,
Avec celles et ceux qui partagent notre table,
Plus indissoluble que celle d’un amour stable.
La finesse des plats aux fumets si sauvages
Et la subtilité des saveurs, de bon présage,
Nous conduisent à des sensations vraiment divines
Que la sensualité de l’âme avoisine.
Mes ami(e)s, que vos papilles soient en alerte
Devant les mets dressés sur une table ouverte.
Qu’elles opèrent le sésame de la jouissance
Au contact des gigots, des volailles, des gibiers.
Que les vins que vous aimez d’ici et d’ailleurs
Fassent ruisseler en vous des plaisirs en couleurs.
Et n’allez dire que c’est une nouveauté ;
La gourmandise fait l’éloge de la beauté.
Assurément, elle mérite une ovation,
Et de ne pas être livré à l’abandon.
Et n’allez pas me dire le contraire, voyons !
Lorsque d’ici bas je devrai quitter mon land,
Je veux m’en aller de cette terre en gourmand
Et saluer le monde au milieu de friands,
ET pouvoir dire un verre de Bourgogne à la main :
Je te salue, la gourmandise, avec entrain,
Heureux de t’avoir servi comme un suzerain.