Le troubadour et les voies de l'amour
Je m’appelle Jayme, on me dit troubadour,
Je suis né à Séville ou dans ses alentours,
De ma tendre enfance, j’ai peu de souvenirs.
Ils se sont effacés dans les maux à bannir.
J’ai tant combattu les Sarrasins en Espagne,
Tué des hommes dans des pays de cocagne,
Galopé dans maintes régions, en Normandie,
En Flandres, en Artois, en Bourgogne, en Picardie.
J’ai laissé des femmes aimées sur mon chemin,
Auprès desquelles je fus un réel gamin.
A beaucoup d’entre elles je leur ai dit adieu,
Faisant ressentir dans mon cœur l’effet d’un pieu.
Aujourd’hui, le besoin du tendre amour me guette
Mais je n’en veux pas comme miroir aux alouettes.
J’ai voulu abandonner mon passé de guerre
Pour devenir de la poésie un humble hère,
En quête de la floraison du vrai amour.
Je veux, auprès de vous, me sonder au grand jour.
Très tôt, j’ai aimé les mystères de l’amour,
Désiré en son sein passer mille séjours.
Fut-il vraiment pour moi un mal ou un bien?
Devant tous ses hauts et ses bas, je n’en sais rien,
Mais Dieu, qu’en lui, j’ai aimé ses bonnes manières
Qui ont ensoleillé mon âme de lumières.
Par le véritable amour j’ai cru être pris,
Et, m’assurant que de lui j’avais tout appris,
Je me suis libéré dans toutes ses jouissances,
Dont le temps m’avait tant donné la connaissance.
Mais je dois bien vous avouer, mes chers amis,
Que l’amour est la grande sœur de la folie.
De cette dernière, j’ai aimé toutes les ruses
Dont j’ai abusé au milieu des autres muses.
J’ai aimé les doux chants des oiseaux du matin
Me poussant à être le tendre diablotin
D’une femme, dans des ébats bien libertins.
Je ne pouvais pas même me retenir d’aimer
Les femmes qui me ravissaient sur mon sentier.
De ses élans, je suis devenu un captif,
Qui menait contre eux des combats peu offensifs.
Comme esclave de l’amour, j’ai versé des pleurs,
Ouvrant loin des espérances un champ de douleurs.
L’amour m’a fait craindre et espérer à la fois,
Sans en chasser de moi les plaisirs toutefois.
De la langueur, je suis devenu le martyr,
Et le temps ne faisait rien pour me la guérir.
Aujourd’hui, ces nombreux écarts, je les déplore,
Et de l’amour je veux vivre une nouvelle aurore.
De ses vils troubles je veux être désarmé.
Par sa sincérité, je veux être enflammé.
Que sa musique mélodieuse aille d’elle-même
Vers la jolie bouche de la femme que j’aime.
Je veux que cet amour au service de ma dame
Enflamme l’ardente féérie de mon âme.
Oh ma mie, lorsque nous serons couchés côte à côte,
Evitons entre nous deux de belles parlotes
Et laissons-nous aller à des baisers amoureux,
Nous conduisant sur la voie d’un amour fougueux.
Et voyez ! De la chose, je suis toujours sous le vent,
Que voulez-vous, elle me tente toujours autant !
Mais je ne veux plus aimer l’amour mais bien elle
Dont les désirs et les émois me sont jumelles.
Je me souviens des mots du seigneur Donaldo,
Grand d’Andalousie, me disant tel un credo :
Jayme, ne doute pas de l’amour, il viendra,
Et dans la vive tendresse, il te maintiendra.
Sa puissance est plus forte que celle d’un roi ;
Elle t’éloignera aussi de tout désarroi.
Une autre gente Dame, du nom de Delphine,
Dont tous les seigneurs connaissent l’humeur badine,
M’a convaincu de la fertilité de ses biens,
Ouvrant notre porte à des bonheurs quotidiens.
Aujourd’hui, je vous le dis sans aucun prétexte,
J’aime toujours la chose mais dans ce contexte,
Je dis un grand bonjour à l’amour qui prend feu,
Pour qu’il soit entre deux êtres le boutefeu.
Et je ne suis pas bien prêt de lui dire adieu
Que cela vous plaise ou pas, scrogneugneu !