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Jacques-Hubert FROUGIER

Mon frère

Nous prendrons tous les deux le café en terrasse
Le ciel sera plus bleu que le bleu de nos tasses
Nous parlerons du temps ce sinistre vautour
Venu nous rappeler la jeunesse et l’amour
Mon frère
Nos cheveux étaient longs nos idées étaient rouges
Nous finissions nos nuits quelquefois dans des bouges
Mais à refaire le monde nos vies se sont usées
Nous voilà aujourd’hui retraités révoltés
Mon frère
Nous comparons souvent nos rides en souriant
Et les saisons gravées sur nos tempes d’argent
Dans le rétroviseur de notre nostalgie
L’horizon se rapproche plus vite que l’oubli
Mon frère
Quelquefois nous revient un souvenir étrange
Comme échappée du vin la part sacrée des anges
Nous sommes les enfants d’un temps qui s’est enfui
Dans nos yeux de Gavroches de la Rue Louis Mie
Mon frère
Et quand les filles passent devant notre vieillesse
Nous regardons encore le dessin de leurs fesses
Témoin d’un vieux désir de prodigalité
Profitons d’un plaisir qui s’écrit au passé
Mon frère
Si nous comptons les jours et même les années
C’est que nous espérons un sursis d’exister
Nous sommes les rescapés d’une double exigence
Connaissant de la vie la lourde insignifiance
Mon frère
Nous n’avons ni bilan ni conseil à donner
Nous nous sommes exclus de cette vanité
Et préférons cueillir les fruits de la beauté
Dans la faveur de plaire et la douceur d’aimer
Mon frère
A boire des verres de rêve et de vin réunis
Nous nous sommes saoulés à l’élixir d’amis
Certains nous ont laissés avec ingratitude
D’autres ont disparus frappés de lassitude
Mon frère
La mort sera toujours une cruelle attente
Qui oblige chacun à lui payer sa rente
Nous confirons nos vies au ciel de providence
Qui signera pour nous notre billet d’absence
Mon frère
Le temps déposera comme un oubli de l’âge
Sur la lèvre du vent l’improbable message
Qui nous libèrera de l’ultime défi
Celui d’avoir un jour survécus à la vie
Mon frère
Et quand nous partirons tous les deux de concert
Au pays des aïeux clôturer le mystère
Ne gardant de la vie que le tendre mirage
Qui nous tendra la main pour mieux tourner la page
Mon frère
Chacun à sa façon fermant les yeux de l’autre
Dans un geste d’amour qui en appelle d’autres…
Le dieu qui nous convient n’a pas de territoire
Nous attendrons l’aurore sur ce beau promontoire
Avec vue sur la mer