Nous prendrons tous les deux le café en terrasse Le ciel sera plus bleu que le bleu de nos tasses Nous parlerons du temps ce sinistre vautour Venu nous rappeler la jeunesse et l’amour Mon frère Nos cheveux étaient longs nos idées étaient rouges Nous finissions nos nuits quelquefois dans des bouges Mais à refaire le monde nos vies se sont usées Nous voilà aujourd’hui retraités révoltés Mon frère Nous comparons souvent nos rides en souriant Et les saisons gravées sur nos tempes d’argent Dans le rétroviseur de notre nostalgie L’horizon se rapproche plus vite que l’oubli Mon frère Quelquefois nous revient un souvenir étrange Comme échappée du vin la part sacrée des anges Nous sommes les enfants d’un temps qui s’est enfui Dans nos yeux de Gavroches de la Rue Louis Mie Mon frère Et quand les filles passent devant notre vieillesse Nous regardons encore le dessin de leurs fesses Témoin d’un vieux désir de prodigalité Profitons d’un plaisir qui s’écrit au passé Mon frère Si nous comptons les jours et même les années C’est que nous espérons un sursis d’exister Nous sommes les rescapés d’une double exigence Connaissant de la vie la lourde insignifiance Mon frère Nous n’avons ni bilan ni conseil à donner Nous nous sommes exclus de cette vanité Et préférons cueillir les fruits de la beauté Dans la faveur de plaire et la douceur d’aimer Mon frère A boire des verres de rêve et de vin réunis Nous nous sommes saoulés à l’élixir d’amis Certains nous ont laissés avec ingratitude D’autres ont disparus frappés de lassitude Mon frère La mort sera toujours une cruelle attente Qui oblige chacun à lui payer sa rente Nous confirons nos vies au ciel de providence Qui signera pour nous notre billet d’absence Mon frère Le temps déposera comme un oubli de l’âge Sur la lèvre du vent l’improbable message Qui nous libèrera de l’ultime défi Celui d’avoir un jour survécus à la vie Mon frère Et quand nous partirons tous les deux de concert Au pays des aïeux clôturer le mystère Ne gardant de la vie que le tendre mirage Qui nous tendra la main pour mieux tourner la page Mon frère Chacun à sa façon fermant les yeux de l’autre Dans un geste d’amour qui en appelle d’autres… Le dieu qui nous convient n’a pas de territoire Nous attendrons l’aurore sur ce beau promontoire Avec vue sur la mer