J’ai oublié le nom de la conteuse, Mais restent la douceur de son regard, La rivière plaintive de sa chanson Et tous les personnages de son histoire Qui ont pris possession du lieu, Poussé, repoussé les murs hors de la cité. Dans la pénombre, les mères, les enfants Retiennent leur souffle, leurs larmes. On entend l’océan qui gronde, Le mauvais génie de la mer Qui engloutit le fils. On entend les cris de l’aïeule Qui veut le retenir, Et sur ses lèvres meurtries un archer de malheur Qui fait vibrer la corde du silence. On voit la pauvre ligne de vie brisée du fils Qui git dans la main de la diseuse. Mais étrangement, les mêmes vagues Qui ont dérobé l’enfant nous soulèvent, Roulent au loin l’ennui, le froid, Tous les gestes désabusés Qui avaient longtemps grisé le lieu. Et le lieu qui avait l’air d’une coque échouée Sur l’asphalte, d’un bloc violenté, Avec son rideau de fer, ses poubelles éventrées, Ses bris de verre sur le seuil, Par le seul pouvoir d’une voix, Doucement se prend à voguer, léger… Léger comme un bateau renfloué Qui s’en retourne au pays.