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Jean CIPHAN

Pascal

Pascal, ce poème est pour toi, pour toi tout seul, avec mes mots.
Hélas, tu ne le liras pas.
Voilà.
– T’as quel âge, Jean ?
– Douze. Et toi, Pascal ?
– Douze aussi. Pourquoi t’es tout seul sur ton banc ? Tu t’ennuies ? Elle est chouette, pourtant, la colo du père Dorval.

C’est à peu près ça qu’on s’est dit,
Rappelle-toi !

C’était le premier jour.
J’étais seul sur mon banc,
Tu l’as bien vu, Pascal !
Tu étais seul aussi
Et tu m’as dit «Viens voir la mer».

On a contourné la colo.
On s’est assis sur une pierre.
On a regardé la mer.

Tu m’as dit que tu serais journaliste et aviateur,
Comme Saint-Exupéry.
Alors on a parlé du Petit Prince.
Et tu m’as dit que je lui ressemblais,
Au Petit Prince,
Parce que j’étais tout blond, rêveur.
Et sur une autre planète.

Et puis soir après soir, juste après le repas,
On s’est assis sur notre pierre…
Souvent, on se prenait par l’épaule.
Ensemble, on regardait la mer.

Parfois, en passant près de nous,
Le père Dorval nous adressait son bon sourire.
«Alors, les copains, ça va ? C’est beau, hein !»

C’était beau. La mer. Le ciel. L’horizon. L’infini.
On avait plein de choses à dire.
Parfois même, on ne les disait pas.
Simplement, on était bien.

Un soir, je l’ai compris.
Je te l’ai dit.
On serait amis pour la vie.
Tes beaux yeux bruns se sont éclairés, tu m’as souri.
«D’ac !»

La colonie s’est achevée.

Tu es parti chez toi, près de Vannes.
Je suis parti chez moi, près du Mans.
On ferait chacun sa rentrée
Comme pensionnaire en quatrième.

Tu m’as écrit.
Tu m’as parlé des copains de ta classe, à Saint-François-Xavier.

Je t’ai répondu,
Depuis mon internat chez les pères jésuites du collège Sainte-Croix.
Et j’ai joint un petit poème.
J’étais triste.

Tu n’as pas répondu.

Un peu avant Noël,
Le père Château m’a invité :
« Jean, venez faire avec moi quelques pas dans le parc…»

Il était très pâle.
« Jean, vous m’avez quelquefois parlé de Pascal,
Après la colo à Quiberon.
Vous correspondez.
Il est votre ami.
J’ai reçu ce matin une lettre que je dois vous transmettre,
Que m’a fait parvenir sa maman.
Jean…
Votre ami est très malade.»

Les pères ont incité les collégiens qui le désiraient
À prier pour toi, avec eux.
Tous ensemble dans la chapelle,
Pascal !
Pour ta guérison.

Et beaucoup sont venus,
Même des grands de la première division.
Nous tous avons prié pour toi très fort. Si fort.
Et moi tous les soirs, si fort, en secret.
Rien n’y a fait.
Tu es parti.
En février 1955.

Pascal,
Un jour peut-être je trouverai ta tombe, à Vannes.
Tu restes mon ami pour la vie.

(Sentiers incertains - 1956)