Les martinets
Ils sont arrivés dans un matin brumeux,
Leurs silhouettes élégantes, vives et arquées
Ont laissé des traces dans un ciel ouateux
Où leurs rondes bruyantes se faisaient remarquer.
Ils sont arrivés, stridentes flèches sombres,
Rasant les tuiles et de hauts murs meurtris
Et une immonde bâtisse tapissée d'ombres
Où une population d'enfants a acclamé leurs cris!
Ils sont arrivés, tout costumés de noir,
Petits ambassadeurs d'une liberté ailée,
Larguant sur nos têtes des gouttes d'espoir
Tombées de leurs becs bavards et zélés...
Ils sont arrivés, choisissant des toits les bordées
Pour y bâtir leurs nids, nos rapides voyageurs!
Sous le chaud soleil d'été ou les tièdes ondées,
Ils vont égayer maintenant nos pénibles langueurs...
Ils sont arrivés, des souvenirs cachés sous leurs plumes,
Ramassés tout au long de leurs périgrinations,
Et n'ont pas oublié pourtant ce monde de bitume
Dans lequel ils sont nés, il y a maintes saisons!
Ce matin, l'un d'entr'eux, au cours d'une envolée
Dans de cruels barbelés s'est crucifié brusquement...
J'ai ramassé alors son pauvre corps tout mutilé;
Il respirait encore, s'agitait de quelques tremblements...
Dans mes deux mains creusées, il agonisait...
Pour le bien soulager, qu'aurais-je pu faire?
Impuissant, je le voyais mourir et se laisser glisser
Doucement, sans rebellion, dans les gouffres amers...
L'oiseau mort dans mes doigts tendrement repliés,
Comme pour lui donner dans sa sépulture un berceau,
J'ai planté mes yeux dans l'azur du ciel anémié
Et j'ai regardé s'élever son aura tout là-haut...
Martinets, vous qui venez de par nos monts, nos frontières,
Comment pouvez-vous subir d'un sort si rageur
Ce trépas qui vous vole la vie de si brusque manière?
Peut-être êtes-vous pleins de sagesse, sublimes voyageurs!
Quand pourrai-je, comme vous, accepter ce qu'il advient,
Sans gémir, sans crier, sans maudire Cythère?
Quand pourrai-je comme vous, comprendre ce lien
Unissant l'incohérence à la beauté sur la Terre?
07/04/1991