Devant la machine à café, Lucie songe. De ce doigt que depuis un instant elle ronge, Elle choisit un potage à la tomate Parce que la soupe en poudre, ça l’épate.
A la pause elle joue avec l’éponge Que la femme de ménage prend et gratte Sur les dalles comme l’ours ses grosses pattes. La soupe est passée, la touillette y plonge.
Lucie brûle ses doigts au plastique brûlant. Elle peut tout aussi bien s’enfuir en hurlant. Elle préfère souffler d’une moue rigolarde Pour hâter son plaisir que la chaleur retarde.
Elle pense à Papa qui toujours la gronde Quand elle oublie de sucrer son amer café. Faudra-t- il toujours qu’en larmes elle fonde ? Elle sourit malicieuse, saisit un sachet.
Elle verse à rasades dans son blanc gobelet La poudre aussi blanche qu’un grand verre de lait. La tomate résiste un instant à l’offense, Le sucre y surnage en une croûte dense.
Elle aspire d’un coup la boisson bizarre. C’est mauvais cette soupe sucrée, pas salée ! Papa se serait-il donc trompé par hasard ? Elle vomit le gaspacho à peine avalé.
Devant la machine à café, Lucie pleure De rage et de tristesse et puis un peu de peur. Les autres, çà c’est sûr, vont venir se moquer, La traiter d’attardée, peut être de toquée.
Elle essuie vite du revers de sa manche Les vestiges du drame étalés à ses pieds. Elle fixe la machine d’un air rancunier. A midi viendra l’heure de sa revanche.
J’en vois déjà parmi vous, lecteurs, qui sourient Des malheurs charmants de l’espiègle Lucie. Ils y ont reconnu les bêtises d’enfant Qu’on pardonne d’un rire quand on est un grand.
A vingt ans fêtés, majeure révolue, On refuse pourtant à la pauvre Lucie Ce complice sourire, tendre et ami Au seul prétexte d’un chromosome en plus.