Sextine sixtine
Il m’a fallu quatre ans. Ce labeur immense,
La voûte décorée, ma fresque achevée,
Je l’ai abandonné. Et pourtant j’y pense
Encore. Au fonds de nuits de silence,
Je vois ma médaille à bout de bras levée
Par mes colosses nus, la morale bravée.
"Ah non, Michel-Ange, celle que tu as bravée,
Que tu offenses de ton talent immense,
Alors que je souhaitais voir son armée levée
Et régner sur le monde sa gloire achevée,
C’est notre Eglise, muette, en silence,
Le croyant qui prie et le clerc qui pense."
Faudra-t-il toujours parce qu’un Pape le pense,
Baisser son talent face à la foule levée ?
Faudra-t-il toujours accepter en silence,
Pour que survivent ces bâtisses immenses,
Qui pour tout défi n’ont que science bravée,
Voir l’âme d’un grand artiste ainsi achevée ?
"Mon cher Buonarotti, à peine achevée,
La partie recommence. Et si je pense,
A toi de dessiner. Mon autorité bravée
Ne t’a fait qu’avancer. L’interdiction levée,
A quoi peut servir ta liberté immense,
Si tu n’es payé que d’un têtu silence ?"
Quand on flâne sous la voûte, le silence
Nous emplit. La loi de l’architecte bravée,
Bramante, pour une basilique immense,
La Tour Borgia, modeste quoiqu’on pense,
N’avait jamais admis que ne soit achevée
La beauté qu’il avait dans la pierre levée.
Eve créée, à l’aube du monde levée,
Le salut d’Israël renaît du silence,
Dans les grands pendentifs. L’histoire est achevée :
La gloire du Voyant ne peut être bravée
Ni à droite par le Prophète qui pense,
Ni à sa gauche par la Sybille immense.
Quand la peur est levée, la journée achevée,
Michel-Ange pense, perdu de silence.
Sa peine est immense, sa colère bravée.
C’est alors moi qui pense à ma douleur bravée,
Elle aussi immense, faite de silence.
Lorsque tu t’es levée, ma vie s’est achevée.
Te souviens-tu, au bout du monde immense,
Des jours parfaits quand nous allions apprendre
A la Sixtine le goût de l’art intense ?
Ton parfum sur mes lèvres ? Un goût de cendre.
Tes lèvres sur mes yeux ? Un fantôme tendre.
Ta robe … à nos pieds, Rome immense.