J'ai là mes souvenirs, comme une page apprise Et pas un ne manque à l’appel… En novembre dernier, à cette heure précise, Nous allions derrière l’église, Les tombeaux en forme d’autel Ont des extases d’ombre assise.
Te souvient-il comme il semblait Lourd de sommeil le cimetière ? En paresseux, il somnolait Comme un lézard sur une pierre,
Dans le lointain, quelqu’un chantait Des complaintes lourdes et gauches Et sur nos têtes, voletait La note plaintive des cloches.
Un vieil infirme de pommier, Noueux, ruiné, voûté d’usure Inclinait sa branche rouillée Sur l’épaule de la clôture
Un grand Christ, toute plaie ouverte Veillait au sommeil de nos gars, Maculé de brûlures vertes Et de la mousse plein les bras.
Au creux du marbre séculier Plein d’un vrombissement d’abeille, Dans ce coin tout ensoleillé Papa, auprès de nous, sommeille.
Et maman, sur la fosse chère Couchait des fleurs cueillies de peu Chuchotant de pauvres prières, Tenant un bouquet rouge et bleu.
Glissant le long du chapelet Son doigt tremblait comme une larme Intercédant au Paraclet D’écourter ses propres alarmes.
Sur son chemin de croix, les tombes En chœur répétaient la leçon Que tout s’effrite, tout succombe Aux vieux accords d’une chanson.
L’heure où l’œil se fanera Va sonner. La journée décline Et l’ombre qui nous saisira Pas à pas descend la colline.
Affaissons nos châteaux de cartes Nos jeux se meurent, ensevelis Par une épitaphe aux pancartes, Que lave la pluie et l’oubli. Pourquoi croire en ce talisman, Brûlant au cœur de nos envies, Si l’herbe pousse éperdument Sur tout ce qui fut une vie ?