LE CHAOS
Enfin fourbu, le ciel se dégage et s'éclaire,
L'onde est redevenue limpide, plus d'éclairs
Ni de tonnerres emmêlés ;
Tout a soudain repris ses nuances premières,
De nouveau, les rayons inondent de lumière
Les chênes gris aux troncs pelés.
L'aube dégoulinait, torrent, sur les sentiers,
Les nuages roulaient par bataillons entiers
Vers l'océan tout proche ;
L'air avait une odeur infecte de mitraille,
Au seuil d'un autre jour, mille et mille grenailles
Bombardaient sable et roches !
Les saules redoutaient les muscles des bourrasques,
Les auvents gémissaient, la ville avait un masque,
L'obscurité du monde,
Diluait dans son encre un parfum de lessive ;
Les saletés des rues voguaient à la dérive
Vers des brèches profondes.
Tout, (les lames ourlées d'écume virulente,
Monts, taillis, vals et rus, secoués d'épouvante,
Perditions aux gorges obtues),
Se brisait en folie, sur de tranchants récifs,
Le néant balancé, lui-même, cet esquif,
Etait ridicule et battu.
Les fleuves furibonds accouraient vers l'orage,
Les marées démontaient les rives et les plages,
Les falaises et les maisons ;
Les sapins s'abattaient sur le flanc, et les pierres
Roulaient. Les églises, cerclées de cimetières,
Etaient en panne d'oraisons.
La tourbe progressait dans les rues inondées,
Fièvres, délire, horreur, craintes, ces bien fondées,
Cris de terreur dans les décombres,
Se mêlaient comme l'eau, les épaves, la terre,
Les tombes, les débris, l'os comme les poussières,
Le crépuscule veule et l'ombre.
Les tuiles imitaient la pluie. Vapeurs nocives,
Les éléments alliés, ces destructions massives,
Riaient de voir porter leurs coups.
C'était plus qu'un chaos! Inouïes, effroyables,
Des furies affligées d'appétits incroyables
Bouffaient des géants aux yeux fous.
Impassible je suis au cœur de la tourmente,
Drapé jusqu'au regard par l'haleine des vents,
Ma main devient témoin d'un trépas qui s'invente
Une fin honorable avec le point devant.
Extrait de RAYONS D'ÂME suivi D'UNE SAISON CHEZ LES WLURTZ