L’un devant, l’un derrière, ils vont, les éléphants, Marée grise paisible et lente de géants, Déposant leurs empreintes dans la poussière du temps, Sur les chemins de nuit que rêvent les enfants.
L’un devant, l’un derrière, les éléphants cheminent, Ils s’aspergent de boue, ils se lavent et s’ébrouent, Ils se gavent aussi car ils savent la famine Que l’homme leur promet en pillant les forêts.
Ils savent les fusils, ils savent la soif ardente Et les bijoux d’ivoire au bras des élégantes ; Ils savent les puits secs , les oasis perdues Que l’homme laisse derrière lui, toute sa honte bue.
L’un devant, l’un derrière – quand soudain une mère Abandonne le troupeau et revient en arrière Vers un éléphanteau tombé dans la poussière : Son bébé – Une mère – Et comme toutes les mères…
Alors pendant des heures, le troupeau immobile Attend de tout son cœur que se lève l’enfant - Belle leçon que nous donnent ces animaux tranquilles - Des heures et des heures et des heures durant.
Un vieux mâle se résigne à donner le départ Et d’un pas alourdi de chagrin on repart L’un devant, l’un derrière mais on est un de moins… Une mère tristement suit le troupeau de loin.
Ainsi les éléphants s’ébranlent dans ma mémoire… Lorsque j’étais enfant, je les suivais le soir Jusqu’au bout de la Terre, dans des forêts d’ivoire, Jusqu’au bout du désert dans leur grand cimetière.
Mais la Terre tout entière devient ce cimetière Dans lequel ces géants qui sont notre mémoire Vont sombrer lentement, l’un devant, l’un derrière, Emportant avec eux mes rêves et leur espoir.