Sur un rivage blanc où les vagues s’épuisent Le corps d’un naufragé est vomi par les algues ; Comme il est tard la nuit et que la mer est grise On ne voit rien qu’une ombre dans l’étreinte des vagues.
Et le flux le soulève et le reflux l’apaise, Parodie dérisoire de vie après la vie, Sous un ciel de nuages qui attendent et qui pèsent… La mer tendre le caresse pour le prendre à la nuit.
D’où vient–il ? Qui est –il ? Vers quelles Indes magiques S’était–il embarqué ? Quel trésor mirifique Est–il allé chercher sur les côtes d’Afrique Pour échouer ce soir sur cette plage tragique ?
Nul ne sait l’odyssée – Qui saura le voyage ? De ce sombre fétu, anonyme, ondoyant Qui singe le mouvement quand respire l’océan Que la Lune pâle attire vers des soleils sans âge.
Visage de papyrus et mains de parchemin, En sa chair sont écrits de son sang les chemins Qu’il a suivis, têtu, confiant au vent marin Son destin, ses amours, le festin de ses jours.
Et comme le vent se lève et que les flots mugissent, Les cieux d’ébène crachent des insultes à la terre, Le bras de Dieu s’allonge et fugaces surgissent Des éclairs qui s’enfuient que poursuit le tonnerre.
Tel Lazare il se dresse et sort de son cercueil… Mais c’est pour te maudire comme Christ à Béthanie, Maudire les cœurs qui nient dans des corps qui accueillent Tombes closes sur la tendresse où les scellés sont mis.
Et contre le front gris tourmenté de la mer Ce corps agenouillé devient figure de proue Qui se livre aux embruns de tes larmes amères Offrant à ton regard dur et fier un grand trou :
Il a aimé souvent et donc pleuré beaucoup Ses pleurs ont eu leur charme, il a vécu amant ; Mais la mer accouchant de son corps tristement, Tient son cœur au tombeau, là-bas, au fond de l’eau.
Le naufragé se lève et menace le ciel noir, Invective l’amour et pleure de désespoir Et tandis que le vent en sifflant le traverse, Il crie son testament en face des cieux adverses :
« Quand je porte mes mains à ma poitrine vide Je sais que maintenant je suis votre semblable… Votre amour peut fleurir dans mes steppes arides, Plus rien ne m’intéresse que la beauté du Diable ! »
Epuisé, il se couche et la mer le reprend, Doucement, comme une mère vient border son enfant Et ses lames se mêlent aux larmes du gisant Qui expire son amour et meurt au petit jour.