Les travailleurs de la conclusive heure Partagent les œufs d’esturgeon ; L’élite, la classe supérieure Semonce au fond le sauvageon.
Ils ont laissé leur chaise au ministère Pour s’aller chez l’étoilé seoir En pensant au sang battant dans l’artère Du crépuscule jusqu’au soir.
Ils parlent du peuple : oh ! Le peuple souffre (Qui entend le mot dit « t’es rien ») De la finance à la senteur de soufre Empestant le maudit terrien.
Ils raillent la grosse ou maigre entreprise Qui n’a pas un seul bac plus trois Et leur dédain doublé d’orgueil méprise Ces cerveaux de veaux à l’étroit.
Ils reprennent du caviar à la louche Et boivent la Champagne en vin ; Ils ont l’œil droit qui sur l’œil gauche louche Et tentent de viser, en vain.
Ca coule autour du cou, ça se mélange Et les voici tous en chansons : « Faisons le con, mangeons, buvons mais l’Ange Nous aimera si nous dansons ;
De Dieu, c’est un bon fonctionnaire Comme nous de l’état-patron. » Nous nions le risque et l’actionnaire Mais bannissons-nous le poltron ?
La porte, alors, du restaurant s’entrouvre Et un paysan innocent Lance à la salle « où se trouve le Louvre ? » Avec son gasconnais accent.
- Oh ! Il ferme ses entrées de bonne heure Et reste rue de Rivoli ; Entre donc et oublie l’Asie mineure Mona Lisa et Tripoli.
Dis-moi, tu sens la campagne et l’étable La mamelle gonflée de lait ; Je t’invite à t’asseoir à ma table Mais va te laver s’il te plaît.
Fais un détour pour te rendre aux toilettes Afin d’éviter nos parfums De roses, de santals, de violettes Qui vont si bien aux nez bien fins.
L’élite a la joue douce et la main blanche Qui ne salit pas le stylo Obéissant ; et tout notre être planche Quand est sotte la dactylo.
Tu goûteras au caviar : le délice Réservé aux gars de l’Etat Qui ont laissé le biplan à hélice Au musée de l’aérostat.
- Le caviar ? J’en cultive à Bon-Encontre En légume bleu-violet Et le matin je pars à sa rencontre Quand j’ai poussé mon vert volet.
- Quoi ? Que chantes-tu là, cul plein de bouse ? L’œuf sort du fond d’un esturgeon ; Va, rentre chez toi et remets ta blouse Pour soigner ton champ d’escourgeon.
- Macarel ! J’ai à faire au parfait sot… Sais-tu que la belle aubergine Au ventre aussi gros qu’un gras de cuissot Se met en scène et s’imagine
Se mélanger avec l’huile d’olive Et se dorer pour faire un mets Délicieux attirant la salive Seule engorgée chez les gourmets ?
Moi, paysan, auguste aristocrate Je ris de tes poissons aux œufs Salés goûtés par la gent ploutocrate Affairée au travail oiseux.
Je te sors de mon sac un œuf de poule Qui ne t’embrasse pas le bec A clouer ; troue-le d’un coup pour qu’il coule Sous tes yeux sans salamalec.
Ce chef-d’œuvre créée par le miracle Est un beau jaune au cœur d’un blanc Qui deviendra selon l’antique oracle « Joli petit poussin tremblant. »
Non, ton poisson ne manque pas de fesse Et pond ma poule un oeuf du cul Dont le bébé aura je le confesse Bien mieux que l’esturgeon vécu
Jusqu’à ce qu’un dimanche je le mange Après qu’il a grandi au grain Déjà, dans sa coquille, il me démange Et adulte, il a de l’arrière-train.. !
J’ai du caviar au choix devant ma porte Et ma santé dit liberté ; Fonctionnaire et médiocre t’importe Seule une mal placée fierté.
Vous puez tous le fiel, l’outrecuidance Quand je sens pluie soleil et vent Remplir ma vie du flot de l’abondance Sans passer par un trou d’évent.
Adieu mépris, lie et purin d’ortie ; Le Louvre étouffe le hautain Qu’il fermement pousse vers la sortie Mais sourit à l’humble aquitain.
Adieu, tas de vers qui grouillez sans terre Et vive mon retour où sont Les Vérités formant le caractère Des hommes que nous nourrissons.