J’ai eu des joues pleines dans le visage Roses comme au bout des bras mes deux mains J’ai eu le nez de l’enfant doux et sage Et la bouche qui rit aux lendemains
J’ai eu des pieds qui sentaient bon la sente Aux lourds ou fins parfums des bois des prés Le ventre creux pour que ma faim la sente Et les deux yeux qui voient les cieux de près
J’ai eu le cou bien posé sous la tête Et la tête légère sur le cou Une langue à l’adjectif épithète Goûtant tout doux le frou-frou du coucou
J’ai eu vingt ans avant d’en avoir trente Et trente dents avant d’en compter vingt J’ai eu l’âme – je jure – transparente Afin que voie clair en moi le divin
J’ai eu la cuisse et la fesse accueillantes Et le serpent qui sait se redresser J’ai eu des tas de femmes bienveillantes Que je n’eus pas le besoin de dresser
J’ai eu le foie bien placé dans le ventre Et l’intestin copain avec les reins L’estomac lui occupant tout le centre Supportait le vin des îles Lérins
J’ai eu j’ai eu et encore et encore Tant de trésors disparus à jamais Je n’ai plus rien qu’un grain que je picore Et j’en meurs car c’est celui que j’aimais.