La griffure du temps érafle la santé La gorge chaude où la voix douce a tant chanté Et le pli de la bouche au coin ridant le rire Devenu un rictus difficile à décrire Effrayant la beauté tachée de mocheté Et d’étoiles l’œil clair de bébé moucheté.
L’ongle aiguisé du temps se plante jusqu’au sang En traversant l’écorce et le derme impuissants A chasser le long cou de ce clou et la rouille Sans gène arrive aider le ver qui déjà grouille A manger lentement sans négliger le cœur Le pire et le meilleur : cru vaincu, cuit vainqueur.
Le temps terriblement terrifie les vivants Et les rocs et les monts et la terre vive en La grattant, la rayant et sa large surface Est si malmenée tant de profil que de face Qu’elle aimerait – plaît-il ? - se jeter à la mer Comme le vieil homme dont le pleur est amer
Qu’ils sont désobligeants les ongles durs du temps Labourant chaque jour le grand champ mécontent D’avoir été choisi tandis que le pré tendre Ami de l’herbe verte est très fier à prétendre Que si dans le soulier le pied est envié Il reste modeste car il est en vie et
Griffes et ongles sont crochus fourchus souvent Et peuvent s’accrocher à une aile de vent Pour l’entraîner jusqu’à lui faire raser l’herbe Puis la coucher sur le pré uni et superbe De fleurs bleues et jaunes dressées dès le printemps Que la laideur du temps par jalousie craint tant
L’inexorable marche en avant du fléau Agace et met en bas les hauts murs du préau Où l’enfant jouant à la maman rentre en classe Et demande pourquoi à la maîtresse casse Ce petit abri qui savait le protéger Comme les barbelés du jardin potager
L’institutrice alors lui donne une leçon : « Mes oreilles déjà moins entendent le son Et se tendent un peu pour être à ton écoute (Même si cet effort infime ne me coûte) Quand chante en toi et en accords grâce à ce sens Intact la mélodie d'un Brel et d'un Brassens. »
Dès à présent, un ongle acéré, bien taillé Invisible et terrible a déjà bataillé Sans qu’un opposant fier-à-bras se manifeste Et brutalement ou lentement rien n’infeste L’élément attaqué se pensant en corps sain Et pouvant à la fin accomplir son dessein.
Plus qu'a ratissé, la griffe a défiguré Ce que les médecins n’avaient pas auguré, Tous les docteurs anciens disant que ce qui mine La joue rose jaunie est l’excès d’albumine Alors que maintenant se sait qu’un doigt perçant Touille le sang comme un ongle de chat persan.
Les barrières, les murs, les hautes frondaisons, Les fronts, les mentons ronds, les frontons des maisons Victimes soumises au vernis translucide Qui durcit l’ongle du temps ont l’esprit lucide Et savent leur destin sans le voir, sans crier Mais ils ont, c’est certain, le pouvoir de prier.