Les gens connaissent bien la rue Victor Hugo A coté de la cathédrale Et même – excusez-moi – le nigaud Parigot Dont l’inculture est viscérale.
Et si vous parlez de la rue René Cassin Adjacente à la place Flore Les yeux voient des gamins jouant dans un bassin Où l’eau sent un peu trop le chlore.
Mais d’où vient ce nom que porte la rue Bac-Ninh Qui embrasse la rue de Dole ? Est-il dû à une région où le Viêt-Minh Nous fit danser en farandole ?
Mes amis, c’est ici que j’ai ri et grandi Et que se vit ma belle enfance Parmi huit personnes avec qui j’ai brandi Le drapeau de la grande France.
Ma ruelle empruntée par les gens du quartier Est bordée de jardins de menthe, De laurier, d’œillets, de thym et d’un églantier Dont la rose s’offre à l’amante.
En face de chez nous, Boiston est le boucher Qui fait l’andouille et l’andouillette Et contraint ma mère à ses oreilles boucher Car elle est quelque peu douillette
Quand elle entend le cri de la bête à saigner Qui sent la descente implacable Vers une mort torve et finira par baigner Dans son propre sang impeccable.
Ses enfants sont aussi forts que mon père est beau Et que ma mère est ouvrière Qui m’apprit que Jésus-Christ fut mis au tombeau Lors de ma première prière.
La mercerie était à madame Bertin Qui vendait tissu, coton, laine Et quand j’achetais son « Huma » j’étais certain Qu’elle ouvrirait sa porcelaine
Pour y plonger sa main et en sortir deux francs Qu’elle me donnait sans rien dire Et je la regardais avec l’œil clair et franc Car je n’avais rien à redire.
J’étais malheureux qu’elle et son mari très vieux Ne fréquentassent pas la messe Jalousés, cependant, par mon frère, envieux Qui préférait bal et kermesse.
Deux mondes existaient comme depuis toujours : L’un l’esprit, l’autre la matière ; Petit, j’avais déjà choisi le don d’amour A Dieu et à la terre entière
Mais les incroyants n’ont pas le sang des méchants En sachant aussi le partage Et Madame Bertin connaissait tous mes chants Qui étaient son seul héritage.
Le couple est mort avec la grande humanité Qui guidait sa foi communiste Et ces simples ruraux avaient l’urbanité Des Chrétiens à l’âme humaniste.
Vous viendrez, peut-être, à rue Bac-Ninh, en touriste Ou en promeneur égaré Qui me demanderez : « y a-t-il un fleuriste, Je me suis à deux pas garé ? »
Je vous proposerai dans ma petite liste D’amours vivant dans mon jardin De caresser des yeux un blanc lys royaliste
Qui fait le bonheur d’un verdin Venu d’Amérique en visiteur anodin Lui siffler un air en soliste.