Ils sont venus ici et s’y sont réunis En laissant leurs hameaux vides et démunis ; Ils vivent dans un beau bourg autour de son centre Et vont à l’église pour lui remplir le ventre ; La rue au magasin A peur du Sarrasin Qui viendrait dans la nuit égorger la volaille, Saucissonner sur place et vider la tripaille, Renverser les cageots et soutirer le vin, Désenfourner le pain et voler le levain ; Le milieu se referme Pareil que dans la ferme Sur le salon de thé (car privé de lycée,) Le Maghrébin du coin à l’olive épicée, Le bureau de poste et le crédit mutuel, La vitrine en photo avec Ramatuel ; Sinon, bien peu se voit Ne s’entend pas de voix ; A peine se perçoit un raclement de gorge, Un souffle identique à un soufflement de forge Qui tordait le fer pour protéger les sabots Des chevaux et les yeux brillants trouvaient ça beau Et ça sentait la viande (Celle aussi qui faisande) Les crottes de chiens et l’urine des bouchers, Le vomi des soldats qui allaient se coucher, Dans une caserne derrière une muraille Pleine de canons et de boulets en ferraille ; Aujourd’hui : terminé On a tout déminé. Le terrain de fous d’balle est couvert de pelouse Vert bouteille et lavée de son antique bouse ; Les vaches sont parties ruminer leur aigreur Pour laisser s’installer la pâleur, la maigreur Des filles des sixties Toutes extraverties. La mère Humbert a mis de l’eau dans le lavoir Afin que les Anglais accourussent la voir Ainsi qu’un pot en fer de géranium lierre Qui tranche puissamment avec la blanche pierre ; Ce n’est pas la faute aux Amateurs de photo Qui posent devant le monument plein d’histoire Où les lavandières - le geste obligatoire – Frappaient le linge pour qu’en sortît le purin En chantant en chœur deux couplets et le refrain. L’antiquité fait vendre A qui a le cœur tendre ; Les Hollandais passent et vont au restaurant Ou à la quête d’un impétueux torrent Précédés par un car de joyeux francophones (Belges, Suisses aux mains pleines de téléphones) ; Rigolards allemands Venus également Se disent étonnés que le magasin ferme Si tôt ; Johanna dit : « on a quitté la ferme, C’est pas pour qu’on s’emmerde à vendre un saucisson A des cons qui viennent juste pour le frisson ; Moi je suis héroïne Shootée à l’héroïne. » Mais le maire intervient : « C’est une comédienne ; Je dirais même plus : une vraie tragédienne Qui joue un rôle ingrat à l’image du bourg Vivant autrefois sur de grands champs de labour Mais c’est l’informatique Qui dicte sa tactique Et je pense qu’on va referrer les chevaux, Rameuter les taureaux, les vaches et leurs veaux, Prendre les œufs sortis tout chauds du cul des poules, Recirer des bougies et jeter les ampoules ; Se retaper dessus Si on se sent déçus. »