Couche-toi, petite merveille, Près de ton lit, ta mère veille ; Ferme les yeux : tu vois la nuit S’ouvrir pour prendre ton ennui. Ta bouche dessine un sourire : Oh ! Comme je voudrais l’écrire ! Sens-tu mes lèvres sur ton front Chaudes comme ton édredon ? Pousse un peu la porte du rêve : Le paradis blanc de mère Eve Attend avec un ange blond Et le temps ne sera pas long A ce qu'il soit ton bon complice Afin que bientôt s’accomplisse Ton vœu demandé à maman : « M’envolerai-je au firmament Où tous les gens sont en dimanche Avec des fils d’or sur la manche, Des étincelles dans les yeux Comme celles qui sont aux cieux ? » - M’entends-tu, petite merveille ? Ton père est vieux, ta mère est vieille ; Là-bas, la morsure du temps Glisse sur la peau des titans Coriace autant que la pierre Tenant ouverte la paupière Levée sur l’infinie beauté De l’éternelle royauté. Personne, au ciel, jamais ne dort Et ignore où niche la mort ; Un fleuve au goût d’amande coule, La blanche colombe roucoule, L’enfer est rempli d’eau de puits Et Satan sur Dieu prend appui, Le miel est laissé à l’abeille, L’épeire tisse une corbeille Où accourent les fruits sucrés Pour s’offrir aux esprits sacrés. - Laisse-toi, petite merveille Aller au sommeil, maman veille ; La nuit a mis son voile noir Après la prière du soir Devant la porte où la lumière S’allume toujours la première Quand s’avance à lents pas l’enfant Qui craint le loup et l’éléphant. Ta bouche a fini de sourire, Je pourrai peut-être l’écrire ; Tu me raconteras demain Comment Eve te tient la main ; Si elle oublie, dis-lui quand même : « Oh ! je sais que ma mère m’aime. »